Dans un premier temps, c'est l'émotion qui s'est exprimée. Impuissants, horrifiés, nous avons réagi à cette nouvelle catastrophe qui frappe Haïti avec toute l'affection et la solidarité que nous ressentons pour nos voisins et amis que sont les Haïtiens.

Dans un deuxième temps, c'est le coeur qui a parlé. La communauté internationale s'est mobilisée pour venir en aide le plus vite possible aux victimes du tremblement de terre. C'est ce qui occupe actuellement toutes les énergies: recueillir des fonds, mettre en branle l'aide d'urgence pour sauver des vies, soigner les blessés, fournir de l'eau, de la nourriture, des abris.

 

Mais il y aura un troisième temps, où c'est la raison qui devra intervenir, lorsque l'on amorcera le colossal travail de reconstruction dont aura besoin ce pays. Pourquoi la raison? Parce que c'est un travail de longue haleine, qui demandera des ressources énormes, où il faudra agir longtemps après que le mouvement de sympathie spontané auquel on assiste maintenant se sera émoussé. Et parce que cette reconstruction pose des défis pour lesquels on n'a pas de réponse.

Haïti est terriblement pauvre, on le sait. Le pays le plus pauvre des Amériques: 78% de sa population vit avec moins de 2$ par jour. Mais 54% vit avec moins de 1$. Ce n'est pas la pauvreté, mais la misère, la faim, les enfants qui meurent en bas âge. Un dénuement qu'aucune statistique économique ne peut décrire. On ne peut pas accepter que subsiste un degré d'indigence dans un pays si proche de nous, tant par la géographie que par les affinités.

Mais on sait aussi que d'énormes efforts internationaux ont déjà été déployés pour venir en aide à Haïti, et pas seulement après les nombreux désastres qui l'ont frappé. Le Canada, qui s'est engagé à lui verser 550 millions sur cinq ans, est le deuxième donateur en importance. On doit constater que ces efforts substantiels - fonds publics, aide technique, comme celle de nos policiers, travail des ONG - ne suffisent pas à inverser la tendance. Cela nous permet de croire que notre façon d'aider n'est sans doute pas la bonne.

Certains parlent d'un plan Marshall pour Haïti, à l'image de l'énorme projet de reconstruction de l'Europe lancé par les Américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais Haïti n'est pas l'Europe, c'est un pays déstructuré, mal dirigé, souvent trahi par ses élites, dont les structures sociales et politiques sont trop fragilisées pour prendre le relais de l'aide internationale et en profiter pleinement.

Cependant, les milliards de dollars qui seront nécessaires à la reconstruction peuvent servir de levier de développement, surtout s'ils impliquent le plus possible les Haïtiens eux-mêmes, pour créer des emplois, favoriser le développement de compétences, soutenir l'émergence d'entreprises. Et cette reconstruction peut également donner un nouveau départ au pays, en corrigeant les effets du développement anarchique, décentraliser une capitale trop grosse, doter le pays des infrastructures qui soutiendront par la suite le développement économique.

Mais la piste la plus prometteuse pour mettre Haïti sur la voie du développement, c'est l'éducation, un travail de longue haleine. C'est l'éducation qui permettra de réduire l'analphabétisme, de doter le pays de la main-d'oeuvre dont il aura besoin pour s'extraire d'une économie de subsistance, de favoriser l'éclosion d'une démocratie en santé.

Peut-on donc espérer que cette reconstruction, sans effacer les souffrances du peuple haïtien, puisse être porteuse d'espoir? Que les milliards et les milliards qui iront à Haïti ne servent pas seulement à rebâtir des infrastructures en ruines, mais qu'elles permettent de bâtir un avenir meilleur que le présent, qu'elles servent à sortir ce pays de la spirale dans laquelle il s'est enfoncé. Que le cataclysme puisse devenir un catalyseur.