Les libéraux de Michael Ignatieff ont choisi de lancer une campagne énergique pour dénoncer la décision du premier ministre Stephen Harper de proroger le Parlement. Est-ce que ces messages publicitaires indignés changeront quelque chose? Probablement pas. Les citoyens ont trop peu de respect à l'égard de l'institution parlementaire pour s'émouvoir du fait qu'elle puisse faire une pause de quelques mois.

S'ils veulent marquer des points, les libéraux fédéraux auraient intérêt à prendre le problème par l'autre bout. Au lieu de déchirer leur chemise dans l'indifférence générale, ils devraient plutôt prendre M. Harper au mot. Son explication officielle pour justifier la prorogation, c'est la nécessité de «recalibrer» l'intervention gouvernementale et de concentrer les énergies sur la relance économique.

 

Selon cette logique, les conservateurs profiteraient de cette pause parlementaire pour mettre au point une stratégie économique solide. Les partis de l'opposition devraient attendre le gouvernement avec une brique et un fanal le 4 mars, lorsque débutera la nouvelle session. Parce qu'il n'est pas du tout évident que les conservateurs réussiront à produire quelque chose de convaincant.

Paradoxalement, la gestion de la sortie de crise est autrement plus complexe que le combat contre la récession elle-même. Les derniers chiffres sur l'emploi, qui stagne toujours au Canada, sont là pour nous le rappeler. Et c'est un défi pour lequel le gouvernement conservateur n'est pas particulièrement bien équipé.

Il faut quand même rappeler la feuille de route de ce gouvernement. Le 27 novembre 2008, quand la crise venait d'éclater, le gouvernement Harper, fraîchement réélu, a déposé un mini-budget qui proposait la stratégie économique la plus inepte du monde occidental. Au moment où tous les pays lançaient des programmes de relance, il a été le seul à choisir de ne rien faire.

En appliquant ainsi le credo conservateur dans ce qu'il avait de plus bête, le gouvernement Harper a failli être renversé. Il a survécu en faisant volte-face et en déposant, comme le réclamait l'opposition, un substantiel budget de stimulation économique. Celui-ci a donné de bons résultats. Les milliards injectés dans l'économie ont aidé le Canada à sortir de la récession plus vite que ses partenaires.

La mécanique de la lutte contre la récession est assez simple. Il suffit de dépenser des milliards. Rien n'est plus facile, et politiquement rentable, que de jouer au père Noël. C'est maintenant que le travail difficile commence.

Tout d'abord, les bonbons ont tous été distribués. Le plan de lutte contre la récession du printemps dernier portait sur deux ans. Les sommes consacrées à la relance pour 2010 ont déjà été annoncées et engagées. Il serait déraisonnable d'en faire plus. Et Ottawa n'en a pas les moyens.

Ensuite, le déficit provoqué par la récession et les programmes de relance est énorme. Plus de 50 milliards. Le temps approche où le gouvernement conservateur devra s'y attaquer. On l'a vu au Québec, cela exige des choix où il est difficile pour un gouvernement de ne pas perdre de plumes.

Enfin, les problèmes économiques changent de nature. On voit que la reprise ne s'accompagne pas de création d'emplois. Le chômage élevé est un terrain fertile pour l'opposition. Mais surtout, la sortie de crise exigera des interventions plus complexes que les investissements dans les infrastructures: travailler sur l'éducation, sur la productivité, sur l'innovation. Ce n'est vraiment pas la tasse de thé des conservateurs.

2010, l'année de la reprise, risque donc fort d'être moins favorable aux conservateurs que 2009, l'année de la récession. Si le premier ministre Harper a un talon d'Achille, ce sera dans sa capacité de bien gérer ce retour à la normale. Et c'est là-dessus que les libéraux ont le plus de chances de marquer des points.

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