La semaine dernière, dans la tourmente du débat sur les hausses de tarifs, un sondage absolument délectable, publié dans le Journal de Montréal, nous montrait, chiffres à l'appui, pourquoi il est devenu si difficile de gouverner.

Ce sondage Léger Marketing révélait qu'à l'évocation de hausses de tarifs, 65% des répondants se disaient en colère, et qu'à peine 29% des répondants disaient comprendre, même si cela les dérangeait. Dans la même foulée, ces mêmes citoyens estimaient, par une majorité écrasante de 64%, que le retour du déficit est attribuable à la mauvaise gestion gouvernementale, plutôt qu'à la crise économique.

Cette colère et ce cynisme face à nos dirigeants montrent quelle pente le gouvernement Charest aura à gravir pour faire accepter des décisions impopulaires. On peut aller plus loin. Si on se fie aux réponses aux autres questions de cette enquête, si Québec choisit d'écouter les citoyens et de se plier à leurs volontés, il sera tout simplement incapable de résoudre la crise des finances publiques. Et nous foncerons dans un mur.

Que disent les citoyens? Le déficit les inquiète, dans une proportion de 70%, ce qui est un bon signe. Mais pour résorber ce déficit, seulement 39% acceptent de payer davantage tandis que 47% d'entre eux préfèrent une diminution de services. Voilà un revirement qui pourrait, en principe, être un choix de société.

Mais quand on pousse le questionnement, il est moins clair de savoir quels services les gens seraient prêts à sacrifier. Soixante-six pour cent des répondants croient en effet qu'il ne faut pas geler les dépenses de santé. Il n'y avait pas de questions sur l'éducation, mais on peut supposer que la réponse aurait été similaire. Cinquante pour cent des répondants appuient des hausses de salaire pour les employés de l'État. Or, on sait que l'éducation, la santé et l'incontournable service de la dette comptent pour 75% des dépenses de l'État, tandis que la masse salariale compte pour 60%. Où réduire alors?

À quelques exceptions près, le premier réflexe des citoyens ne laisse pas non plus de marge du côté des revenus. Certaines hausses de tarifs suscitent de vives réactions. Les citoyens s'opposent massivement, à 76%, à une hausse des tarifs d'électricité, à celle des primes de l'assurance médicaments, à 73%, des permis de conduire, à 75%, et des taxes sur l'essence, à 83%.

Curieusement, les Québécois sont moins catégoriques pour certains tarifs que l'on croyait sacrés. Cinquante pour cent accepteraient une hausse des frais de scolarité, 57% celle des garderies, 77% celle des permis de chasse. Pourquoi? Parce que tout le monde paie l'électricité, mais que ce n'est pas tout le monde qui a un enfant à la garderie ou à l'université.

Résumons. On est contre le déficit. Contre les impôts. Pour les coupes, mais presque nulle part. Et pour une hausse des tarifs qui ne nous affectent pas. Je ne dis pas ça pour me moquer. Mais pour souligner les limites des réactions au premier degré. Un sondage demande aux gens ce qu'ils aiment ou ce qu'ils n'aiment pas, ce qui les amène à décrire leurs préférences en fonction de leurs intérêts immédiats.

Cela nous montre les limites des consultations dans des choix comme ceux qui attendent le gouvernement libéral. Les consultations permettent d'écouter, elles permettent aussi au gouvernement d'expliquer et de mettre cartes sur table. Mais les contradictions de ce sondage montrent qu'il y a une énorme différence entre les voeux communs et le bien commun.

La remise sur les rails des finances publiques ne pourra pas être un exercice de démocratie directe, ou encore une démarche citoyenne. Cela nous rappelle que diriger, c'est d'abord et avant tout faire des choix et décider, même si cela est impopulaire.