Pierre Falardeau ne laisse pas plus indifférent dans la mort que dans la vie. Il sera aimé ou détesté jusque dans son dernier sommeil. Le Québec perd un grand cinéaste. Il perd certainement aussi un militant, «un des plus ardents défenseurs de la cause indépendantiste», comme l'a dit la chef du Parti québécois, Pauline Marois.

Mais que va-t-il rester des idées qu'il défendait avec férocité? Probablement peu de chose, parce que sa lecture de la question nationale est clairement en désuétude. Et que sa principale contribution au débat public ne tient pas au fond, à ses idées, mais plutôt à la forme, le fait d'avoir introduit dans le débat public l'insulte, la violence verbale et le recours aux attaques personnelles.

Cette brutalité, on s'en souvient, a atteint son apogée lors d'un autre décès, celui de Claude Ryan. Pierre Falardeau avait horrifié bien des gens avec son pamphlet franchement épouvantable qui commençait par «Voilà enfin une bonne chose de faite! Claude Ryan vient de mourir» et qui se terminait par «Salut, pourriture».

Ce ton s'explique par les idées mêmes de Pierre Falardeau, que je décrirais comme l'un des derniers felquistes. Non pas parce qu'il était partisan du terrorisme. Mais parce que sa grille d'analyse de la question nationale était essentiellement la même que celle des auteurs du manifeste de 1970.

Ce que disait Falardeau, c'est que les francophones ont été conquis, qu'ils sont devenus des colonisés, que l'accession à l'indépendance est donc un geste de libération, que ceux dont on essaie de se libérer sont des oppresseurs, que cette bataille n'est pas un débat politique mais un combat dans lequel on peut faire preuve de lâcheté ou de courage, et que ceux qui, au Québec, ne partagent pas cette vision sont des complices de l'ennemi, des vendus qu'il faut dénoncer.

Cette vision extrêmement simpliste du monde permet de comprendre l'agressivité verbale de Falardeau. Il ne participait pas à un débat politique entre deux conceptions valides de l'avenir du Québec, mais il défendait une cause juste contre des ennemis envers qui il disait ressentir de la haine.

Il n'en reste pas moins que Pierre Falardeau, un radical dans une société modérée, était fort populaire. Mais pourquoi au juste? Pour son talent de cinéaste? Pour sa personnalité attachante - si on était du bon bord? Parce que les Québécois affectionnent les grandes gueules au discours linéaire? Ou pour ses idées?

Ce genre d'idées exerce un certain attrait dans la famille souverainiste. Par exemple, Bernard Landry a dit ce week-end que le décès de Falardeau constitue «une perte considérable pour notre nation». En faisant un aveu tout à fait stupéfiant: « Je lui disais: Pierre, je pense à peu près comme toi sur à peu près tout, mais je ne le dis pas de la même manière.» Est-ce que cela signifie que Landry, ex-premier ministre du Québec, serait, en secret, un fanatique aux idées simplistes et animé par la rage?

Cet aveu de M. Landry reflète sans doute un autre phénomène. Et ce sont les rapports complexes des modérés qui dominent le mouvement souverainiste avec ses éléments radicaux. Ils ont besoin de ces alliés encombrants pour jouer du coude. Et ils ressentent malgré tout un certain sentiment d'admiration envers les vrais, les purs, qui incarnent l'idéal oublié.

Mais cela n'empêche pas les idées défendues par Pierre Falardeau d'être devenues marginales. Dans la population dans son ensemble, puisque l'appui à la souveraineté est en baisse. Et au sein du mouvement souverainiste, qui n'est plus animé, comme il y a 40 ans, par la rage et la colère.