Les conclusions de l'enquête du vérificateur général sur le contrat des compteurs d'eau portent un coup très dur à l'administration du maire Gérald Tremblay, à la veille du déclenchement des élections municipales.

Mais il ne faut pas seulement regarder ce véritable scandale à travers ses dimensions politiques et électorales. Les conséquences de ce fiasco sont énormes pour la métropole. Ce n'est pas que le maire qui sort affaibli de cette scandaleuse histoire, c'est la ville de Montréal, pour des années, peu importe qui la dirigera.Dieu merci, les conséquences de la perte de contrôle sur le projet des compteurs d'eau ne seront pas trop marquées pour les contribuables. On a évité le pire, grâce aux révélations de La Presse, grâce à l'enquête du vérificateur que le maire Tremblay a dû déclencher, et grâce à sa décision d'annuler le contrat.

Mais Montréal sera marqué. Depuis des années, les politiciens de la métropole, les leaders montréalais plaident pour une plus grande autonomie, réclament plus de pouvoirs pour la ville, souhaitent s'affranchir de la tutelle provinciale. L'adversaire du maire, Louise Harel, promet quant à elle de nouvelles règles de gouvernance, avec moins de pouvoirs aux arrondissements, plus de poids pour l'administration centrale. Ce grand dérapage vient faire la démonstration que Montréal n'a pas les capacités d'assumer cette autonomie, ni politique, ni administrative.

Et c'est une faillite à tous les niveaux. En commençant par en haut, par le maire qui, depuis le début, plaide l'ignorance. Il n'était pas informé des faits troublants révélés par le vérificateur, notamment les avertissements sur les failles dans le processus d'adjudication du contrat des compteurs d'eau. On peut croire à son innocence, dans les deux sens du terme.

Mais cette ignorance est une forme d'incompétence. C'est le devoir d'un maire de contrôler sa ville, de savoir ce qui s'y passe. Quand on se lance dans une aventure colossale comme celle du grand chantier de l'eau, le plus important de l'histoire de la ville, le maire, responsable ultime, doit contrôler le processus, s'assurer que les mécanismes d'encadrement et de reddition de comptes sont en place, prendre les moyens pour être informé. C'est une exigence politique, mais aussi l'a b c de la gestion.

Ensuite, c'est la faillite du système politique : un comité exécutif trop faible, et l'absence de ce qui fait la force et l'efficacité d'une administration municipale, un président du comité exécutif assez solide pour épauler son maire. Frank Zampino, au contraire, a incarné la proximité incestueuse entre la ville et les firmes qui voulaient décrocher le contrat de gestion de l'eau. Cela reflète peut-être un effet pervers des fusions municipales, qui ont amené à l'hôtel de ville des politiciens des villes de banlieue, avec leur culture du béton et de l'asphalte.

Et en dessous, une machine administrative. Avec ses silences, le rapport du vérificateur nous propose deux scénarios, celui de l'incompétence, ou celui de la collusion, pas plus rassurants l'un que l'autre. Un projet qui se gonfle, dans ce réflexe typique des administrations publiques, sans être soutenu par les analyses nécessaires. Des clauses du contrat qui changent et qui pervertissent le processus d'appel d'offres. Une proximité gênante avec les entreprises privées. L'absence de mécanismes d'encadrement du processus. Une opacité troublante. Et assez de doutes pour que le vérificateur transmette des informations à la Sûreté du Québec.

Montréal n'a manifestement pas une administration à la hauteur de ses besoins et de ses ambitions. On pourra bien remettre l'éthique à l'honneur. Mais le premier défi de celui ou celle qui remportera les élections sera colossal, et c'est de nettoyer l'administration municipale, et de reconstruire une fonction publique honnête et compétente.