Qu'est-ce qui a changé, un an après que la faillite de Lehman Brothers ait déclenché une réaction en chaîne qui nous a menés à cette crise financière historique ? Pas grand-chose.

Il aurait été naïf de croire que cette crise, aussi sévère soit-elle, n'entraîne un effondrement du capitalisme ni même l'avènement d'un nouvel ordre mondial. L'économie de marché est un modèle souple, capable de se régénérer. On se serait cependant attendu que les transformations soient assez substantielles pour montrer de façon tangible que, collectivement, nous avions appris de nos erreurs.

 

Mais, pour reprendre le titre de l'essai que j'ai consacré à la crise, les démons du capitalisme sont toujours bien vivants. Les efforts pour mieux contrôler les marchés financiers sont certes sur la bonne voie. Cependant, la culture qui a mené à la catastrophe, celle de l'imprudence, de l'avidité, de la spéculation, n'est hélas pas morte, ni même en veilleuse.

Cela tient peut-être au fait que cette crise, aussi sévère a-t-elle été, n'a pas eu l'ampleur que l'on avait craint. La récession ne s'est pas transformée en dépression. La reprise est arrivée plus vite que prévu. Le système financier, quoique fragile, n'est plus au bord du gouffre. Cela a créé un faux sentiment de sécurité, un retour au « business as usual «, et sans doute un sentiment d'invulnérabilité chez ceux qui ont été les principaux responsables de cette crise.

Il y a heureusement des progrès. Le rôle nouveau que joue le G20 dans la coordination des actions internationales est prometteur. Les efforts pour mieux encadrer le monde financier et pour identifier les risques systémiques avancent, quoique ce soit long et compliqué. On pourra mesurer ces progrès la semaine prochaine, lors de la réunion du G20 à Pittsburgh.

Mais les consensus sont difficiles, les clivages Europe-États-Unis restent importants, notamment parce que les Européens ont davantage la réglementation facile. Et surtout, on ne sait pas jusqu'où les États-Unis, dont l'intervention est pourtant essentielle, pourront aller. Le train de réformes financières - avec un organisme de protection des consommateurs, un rôle de policier pour la Réserve fédérale - que le président Obama défendait encore avec passion ce lundi à New York, fait face à d'importants obstacles.

Le président rencontre des résistances idéologiques similaires à celles qu'il rencontre en santé : un refus de l'État, un culte du chacun-pour-soi, le spectre du socialisme. Sa capacité d'action est limitée par un Congrès et un Sénat qu'il ne contrôle pas vraiment. Wall Street réagit mal à cette réforme. Signe d'un retour à la « normale «, le monde financier reproche au président un interventionnisme qui l'a pourtant sauvé et que son irresponsabilité avait rendu nécessaire.

Le plafonnement de la rémunération des dirigeants d'institutions financières est une autre pomme de discorde. On a accordé beaucoup d'importance à cette question, parce qu'elle permet d'exprimer l'indignation des citoyens, et parce que c'est le seul élément du dossier qui se prête au débat public et au discours politique. Les rémunérations excessives sont surtout importantes pour ce qu'elles révèlent, la concentration de la richesse dans le monde financier, au détriment de l'économie réelle.

La résistance aux réformes du président Obama, les pratiques de rémunération qui n'ont pas assez changé, la capacité de Wall Street de retrouver son euphorie, montrent qu'il a bien du chemin à faire pour venir à bout de la culture responsable de la débâcle. Les ravages de la spéculation, qu'on pense au pétrole ou à notre dollar, montrent aussi qu'il reste bien du chemin à faire pour nous protéger des dérèglements des marchés financiers.