Les bloquistes et les néo-démocrates ont l'intention de voter contre l'adoption des crédits budgétaires la semaine prochaine parce qu'ils trouvent que les efforts de lutte contre la récession décrits dans le rapport d'étape déposé jeudi dernier par les conservateurs sont nettement insuffisants. Michael Ignatieff se donne la fin de semaine pour décider de la marche à suivre et déterminer s'il renversera le premier ministre Harper et s'il provoquera le déclenchement d'élections cet été.

Évidemment, si le chef libéral choisit d'appuyer les conservateurs, il se le fera vivement reprocher. Dans notre tradition politique, soutenir un gouvernement minoritaire est fort mal vu. Les autres partis d'opposition accuseront le chef libéral d'être un allié objectif des conservateurs. On lui reprochera son manque de courage.

Il serait temps qu'on s'ajuste à la nouvelle réalité. Nous élisons des gouvernements minoritaires à répétition. La pratique voulant que l'opposition officielle vote automatiquement contre le gouvernement et le renverse à la première occasion n'a plus aucun sens. Arrêtons donc de jouer aux vierges offensées.

Dans ce contexte nouveau, le chef de l'opposition a le pouvoir, normalement réservé au premier ministre, de décider du moment des élections. Son choix reposera en très grande partie sur un calcul politique, le potentiel de marquer des points. Mais le succès électoral dépend aussi de l'appétit des citoyens pour des élections. Les forcer à retourner aux urnes après huit mois peut coûter très cher si on n'a pas de raison valable.

Est-ce que le rapport d'étape fournit un bon prétexte pour renverser le gouvernement? La réponse est non. Il faut se souvenir que la publication de ces rapports trimestriels était une condition exigée par les libéraux pour appuyer le budget des conservateurs, qu'ils mettaient ainsi sous surveillance. Eh bien, ce rapport montre que les conservateurs suivent leur plan de match. Il ne serait pas logique que les libéraux rejettent maintenant ce plan qu'ils ont déjà soutenu. D'autant que le ministre Jim Flaherty n'a pas présenté un budget conservateur, mais plutôt une mixture hybride destinée à satisfaire les libéraux et à éviter d'être défaits.

Les bloquistes et les néo-démocrates trouvent bien sûr que les mesures de relance sont insuffisantes. Mais dans les faits, les ressources consacrées à combattre la récession sont importantes, encore davantage parce que le déficit s'est creusé à 50 milliards. L'ampleur de cet effort correspond à ce que les organismes internationaux préconisaient. Le fait que l'économie canadienne soit au bord de la reprise montre en outre que ce degré d'intervention semble approprié.

Ce qu'on peut reprocher aux mesures de relance du gouvernement Harper, c'est que même si 80% des projets d'infrastructures annoncés ont été amorcés, la vraie mise en marche, sur le terrain, est beaucoup plus lente que prévu. Mais le hasard fait bien les choses. Le retard dans le démarrage des projets peut devenir un avantage. Parce que même si la récession achève, bien des spécialistes, notamment le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, craignent qu'un relâchement trop rapide des stimuli gouvernementaux ne compromette une reprise anémique. La mise en oeuvre plus tardive des projets permettra ainsi au gouvernement d'accompagner l'économie plus longtemps.

Ce n'est pas sur la lutte contre la récession que le procès du gouvernement conservateur devrait se faire. Contraint d'agir, il a tenu ses promesses, de façon efficace, mais sans imagination et sans vision. C'est plutôt dans l'après-crise que ce manque de vision pèsera lourd, quand il faudra retrouver l'équilibre budgétaire, transformer une économie peu compétitive, faire face aux défis environnementaux. L'enjeu, ce n'est pas ce qui se passe en 2009, mais ce qu'il faudra faire en 2010, en 2011 et au-delà.