Plusieurs pays ont tenté de se servir de la crise comme d'un tremplin, en utilisant les énormes moyens déployés dans le combat contre la récession pour rendre l'économie plus compétitive, pour mieux rebondir et sortir renforcés de l'épreuve. C'est le sens, par exemple, du plan de relance du président Obama, qui consacre des ressources importantes à l'éducation, à la recherche et au développement durable.

Est-ce le cas ici? Sortirons-nous renforcés de cette crise? Ce n'est pas évident du tout. Le risque est grand que nous nous retrouvions avec exactement les mêmes problèmes qu'avant, dans un contexte plus difficile, et avec moins de moyens pour les résoudre.

 

Pendant que nous étions accaparés par la récession, nous avons eu tendance à oublier les enjeux qui semblaient prioritaires avant que la crise n'éclate. Les lucides se sont inquiétés du choc démographique et de la crise financière vers laquelle se dirigeait le Québec. Deux rapports, ceux de Jacques Ménard et Claude Castonguay, décrivaient l'impasse du système de santé. Mon essai, Éloge de la richesse, portait davantage sur les retards du Québec en termes de productivité et de niveau de vie. Le même constat peut être fait pour le Canada où les succès pétroliers de l'Ouest ont créé une illusion de prospérité et masqué le fait que le Canada est un pays en perte de vitesse. Les pertes massives d'emplois en Ontario, 234 000 depuis le début de la récession, illustrent cette fragilité.

Qu'est-ce qui nous attend après la crise? Le problème démographique sera exactement le même. Le problème financier s'aggravera. Au plan québécois, la situation était déjà précaire, avec un endettement élevé et une marge de manoeuvre nulle. Le dernier budget de Monique Jérôme-Forget prévoyait des déficits pour plusieurs années, mais ne proposait pas de démarche convaincante pour revenir à l'équilibre. Et le risque est fort que les choses empirent, si on regarde ce qui se passe du côté d'Ottawa. Le déficit fédéral, prévu à 34 milliards dans le dernier budget, a explosé et dépassera plutôt les 50 milliards.

Quant à la compétitivité de l'économie, on n'observe aucun progrès notable. Peu d'efforts ont été déployés pour corriger notre principal problème économique, notre retard en productivité. Le budget fédéral insistait sur des mesures de relance immédiates - avantages fiscaux ciblés, travaux d'infrastructures - et contenait très peu de mesures que l'on pourrait qualifier de structurantes. Dans le budget du Québec, où l'on trouvait peu de mesures nouvelles, l'effort de relance reposait essentiellement sur le vaste programme d'infrastructures déjà en marche.

En sortie de crise, nous nous retrouverons donc avec des gouvernements endettés, sans marge de manoeuvre, peut-être forcés d'alourdir le fardeau fiscal, avec une économie fragilisée, par exemple dans l'automobile ou la forêt, avec des entreprises qui auront moins de ressources pour l'investissement. Le tout dans un contexte politique qui ne favorisera pas autant les efforts de création de richesse, parce que la crise a provoqué un glissement idéologique qui renforce la méfiance à l'égard du secteur privé et des marchés.

Bien sûr, à court terme, le Québec et le Canada connaîtront sans doute une embellie. La récession est moins forte au Canada que dans les autres pays industrialisés, et elle est moins forte au Québec que dans plusieurs autres provinces. Résultat, notre classement pour le niveau de vie s'améliora sans doute. Mais ce sera une victoire illusoire, parce qu'elle reposera sur les problèmes des autres plutôt que sur nos propres succès. Un peu comme un joueur de tennis qui remporte un match parce que son adversaire a une cheville foulée.

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