Nous sortirons bientôt de la récession. Mais la crise ne sera pas pour autant terminée. L'effondrement des marchés financiers à l'automne 2008 a provoqué une onde de choc qui va forcer les économies à se transformer et à s'adapter à un monde qui ne sera plus le même.

Ces grands changements, je les ai regroupés en six tendances de fond, qui sont autant de défis que les sociétés industrialisées devront relever. Des défis aussi exigeants, sinon plus, que la lutte contre la récession, qui a accaparé les énergies cette année.

 

Le premier est macroéconomique. La plupart des pays ont déployé des efforts énormes pour contrer la récession. C'était nécessaire. Mais les gouvernements, en parant au plus pressé, ont aussi compromis l'avenir. Les déficits budgétaires seront plus élevés que prévu et personne ne croit qu'ils se résorberont d'eux-mêmes. Cela annonce une crise majeure des finances publiques, des compressions, des hausses d'impôt. Le Canada n'y échappera pas, comme vient de le montrer une étude de la Banque TD. Par ailleurs, les politiques monétaires très agressives font craindre une forte poussée inflationniste.

Le deuxième changement est financier. Cette crise a été provoquée par le dérapage des marchés financiers. La nécessité de contrôles plus serrés mène à un renforcement de réglementation au niveau national et international. C'est une bonne chose. Mais ces contrôles accrus auront un coût, parce que la perte de souplesse du crédit sera un frein à la croissance. D'autant plus qu'après les excès provoqués par l'abus de l'effet levier, on assistera au processus inverse. En fait, cette crise aura probablement un effet profond et durable sur le crédit, en changeant la façon dont on prête et la façon dont on emprunte.

Le troisième changement est géopolitique. L'affaiblissement économique, politique et moral des États-Unis accéléra le réalignement des rapports de force; une Chine plus forte et moins passive, une Europe qui s'affirme plus, un dollar qui perdra progressivement son statut. Le Canada, dont la prospérité est liée à celle des États-Unis, devra rapidement diversifier ses échanges.

Le quatrième changement est politique. C'est le retour du balancier dans les rapports entre l'État et les marchés. Les gouvernements, depuis l'éclatement de la crise, prennent une place croissante, par leurs dépenses, par leurs interventions de sauvetage, par leur contrôle plus grand sur l'économie. Et quand l'État s'installe, c'est pour longtemps. D'autant plus que la crise, qui s'explique aussi par les excès du laisser-faire, mène à une certaine méfiance du monde de l'entreprise et de la logique du marché.

La cinquième grande transformation porte sur les habitudes des citoyens. La réduction de la consommation en temps de récession est un phénomène passager. Mais la perte de patrimoine, le fait que les épargnes ont fondu, amènera des changements de comportement plus permanents: le report de la retraite pour certains, des stratégies de placement plus prudentes pour tous, une augmentation de l'épargne, qui aura nécessairement un effet sur le niveau des dépenses, peut-être même sur les habitudes de consommation.

Le dernier changement est environnemental. La crise a accéléré le débat environnemental, notamment parce que l'administration Obama a lié la relance au développement durable, ce qui exerce une énorme pression sur le Canada. Et si la crise énergétique a connu un court répit, la réalité nous rattrapera bientôt quand les prix pétroliers reprendront leur ascension, et imposeront ainsi des choix douloureux.

La plupart de ces changements sont positifs. Mais ils forceront néanmoins nos sociétés à changer, ce qui n'est jamais facile, ils imposeront des restructurations qui peuvent être perturbantes, qu'on pense à l'automobile. Sommes-nous bien placés, au Québec et au Canada, pour affronter ce monde nouveau? C'est ce que nous verrons dimanche.