La lune de miel entre le Canada et Barack Obama n'aura pas duré très longtemps. Une des toutes premières initiatives du nouveau président, son ambitieux plan de relance économique, contient une clause qui interdit l'utilisation d'acier étranger dans les travaux d'infrastructures.

Cette clause protectionniste fera mal au Canada. Mais surtout, elle crée un précédent dangereux qui inquiète beaucoup à Ottawa, autant Michael Ignatieff que Stephen Harper. Et cela risque fort de dominer la visite du président américain au Canada, le 19 février.

Le plan de sauvetage de 825 milliards de dollars a été adopté jeudi par le Congrès américain, malgré les efforts de la diplomatie canadienne pour stopper la clause «Buy America», appuyée par les représentants démocrates. En principe, cette disposition est illégale, tant en vertu des règles de l'OMC que des dispositions de l'ALENA, quoiqu'il est facile de la contourner, car les États ne sont pas soumis aux ententes internationales et peuvent exclure l'acier canadien des travaux d'infrastructures.

Cet incident peut mener à une perception un peu plus sobre du président américain. Aussi impressionnant soit-il, M. Obama est un politicien qui fait des calculs politiques, dont toutes les idées ne sont pas invariablement heureuses.

La Maison-Blanche, devant les vives réactions suscitées ici et ailleurs, s'est engagée à revoir cette mesure. Mais on ne sait pas ce que cela signifie au juste. Car il n'est pas évident que ces dispositions aient été introduites contre la volonté de M. Obama. Elles correspondent au contraire aux idées qu'il a défendues. Il ne faut donc pas se demander s'il peut bloquer ces dispositions. Mais plutôt s'il le veut.

Pendant les primaires, M. Obama a dénoncé l'ALENA de façon virulente, notamment quand il faisait campagne dans le Midwest industriel. Au cours des présidentielles, le ton a baissé, mais le thème est resté. Ce que son programme promettait? «Amender l'entente de libre-échange nord-américain: Obama et Biden croient qu'on a survendu l'ALENA et son potentiel aux Américains. Ils vont travailler avec les leaders du Canada et du Mexique pour que l'ALENA travaille aussi pour les travailleurs américains.» Cet engagement s'est retrouvé sur le site de la Maison-Blanche le jour de l'inauguration.

L'idée centrale que défendait M. Obama, c'est de protéger les jobs des Américains, ce qui est l'essence même de la pensée protectionniste. C'est aussi ce que recherche l'amendement protectionniste du plan de relance. Une approche qui s'inscrit dans la tradition démocrate. Et le fait de vouloir protéger l'acier n'est pas un hasard. Au plan symbolique, l'acier, dans l'inconscient collectif, est l'incarnation de l'industrie lourde et de la classe ouvrière.

On peut comprendre la logique. Les États-Unis, aux prises avec un chômage monstrueux, ne veulent pas dépenser des milliards pour créer des emplois dans l'acier au Canada. Le Canada sera pénalisé, puisqu'il exporte 40 % de son acier aux États-Unis, soit 11 milliards. D'autant plus que ce mouvement risque de s'élargir. La version du Sénat du plan de relance pourrait étendre cette clause à l'ensemble des produits. On peut craindre aussi que le plan de relance automobile américain menace des emplois au Canada.

Mais l'enjeu dépasse le Canada. La tentation protectionniste est normale en période de récession. Et c'est justement pour cela qu'il faut la combattre vigoureusement. C'est la pire chose à faire, parce que si chaque pays érige des barrières, on crée une surenchère et on déprimera encore plus le commerce international. Cela a beaucoup contribué à aggraver la crise des années 30.

Pour cette raison, les membres du G20 se sont entendus, en novembre à Washington, pour combattre ces réflexes protectionnistes. Et c'est aussi pourquoi il faut prendre cet incident très au sérieux, car c'est une initiative irresponsable, aux conséquences graves.