Un comité d'experts, mandaté par le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a recommandé, dans son rapport remis lundi, que le Canada se dote d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières. Cette recommandation déclenchera, on le voit déjà, un débat parfaitement surréaliste dont le Canada a le secret.

Dans un monde qui est encore ébranlé par la pire crise financière depuis 1929, politiciens, financiers et chercheurs s'entendent sur l'absolue nécessité de mettre en place des mécanismes supranationaux de réglementation et de surveillance des marchés financiers pour éviter le genre de dérives à l'origine de la débâcle.

 

Pendant que le monde entier plaide pour une surveillance nationale, au Canada, des voix s'élèvent dans plusieurs provinces, surtout au Québec et en Alberta, pour dénoncer l'idée d'un organisme national, pour plutôt défendre le système actuel qui repose sur l'existence de 13 commissions de surveillance distinctes, parce que la réglementation des valeurs mobilières est de responsabilité constitutionnelle provinciale.

Ce débat en apparence absurde s'explique par le fait que s'affrontent deux logiques, la première est financière, et la seconde est politique. Ce qui risque de nous mener à l'impasse.

Au plan strictement financier, le régime canadien, avec ses 13 organismes de surveillance, est une anomalie. Le Canada est le seul pays industrialisé qui n'est pas doté d'une institution unique, ce qui a été critiqué par des observateurs extérieurs, comme le FMI et l'OCDE.

On reproche la lourdeur du modèle actuel. La difficulté pour les entreprises, surtout les grandes, et encore plus les étrangères, de composer avec plusieurs organismes réglementaires dont les exigences et les normes peuvent varier. Les partisans du statu quo répliquent en notant que le système canadien, malgré ses inconvénients, fonctionne bien, pour la qualité de sa surveillance et la protection des épargnants. Ils ajoutent qu'un nouveau système de passeport, qui permet d'harmoniser les exigences, facilite la tâche des entreprises.

Mais le débat s'est déplacé. Il ne porte plus uniquement sur les structures. Le comité d'experts ne recommande pas seulement un organisme unique, mais aussi une loi unique et une application uniforme de cette loi. Le véritable enjeu est là.

Le rapport du Groupe d'experts sur la réglementation des valeurs mobilières invoque des arguments nouveaux et puissants. Un système éclaté comme le nôtre ne permet pas des réactions rapides et concertées en période de crise. Il ne permet pas autant de jouer le rôle qui sera de plus en plus celui des organismes de surveillance et de réglementation des marchés financiers, c'est-à-dire déceler les risques systémiques et prévenir les crises. Enfin, le Canada, avec ses 13 administrations, ne peut pas participer efficacement aux efforts internationaux pour mettre en place de nouveaux outils de gouvernance.

Le débat au Québec se situe dans un tout autre univers. Et les préoccupations du Québec, aussi légitimes soient-elles, ne répondent pas à ces arguments. La première motivation québécoise est de nature constitutionnelle. Un gouvernement du Québec n'accepte pas, et ne peut pas accepter que le gouvernement fédéral intervienne dans ses champs de juridiction.

C'est une réalité politique incontournable, même si, en termes concrets, le résultat n'est pas dans le meilleur intérêt collectif. Les pères de la Confédération, quand ils ont partagé les pouvoirs entre le gouvernement central et les provinces, ne savaient pas, qu'un jour, il y aurait des «hedge funds».

Derrière les arguments de nature constitutionnelle s'ajoute l'expression d'un certain nationalisme économique. Le Québec Inc. a toujours défendu l'idée d'un organisme de réglementation québécois. Parce qu'il peut offrir des avantages de proximité, surtout pour les PME. Et surtout, parce qu'on ne veut pas qu'un autre pan d'activité financière aille enrichir la métropole torontoise. Car depuis le début, les Ontariens appuient avec enthousiasme l'idée de cet organisme unique, en sachant très bien qu'il atterrirait chez eux.

Mais le Québec n'est pas le seul à faire de la politique. Le gouvernement Harper, dès son arrivée au pouvoir, a fait une priorité de cette réglementation unique, un élément central pour lui de la création d'un véritable espace économique canadien.

Y a-t-il une issue? Probablement. Si le gouvernement fédéral s'efforce de trouver une formule qui atteindra les mêmes résultats en respectant le partage des pouvoirs. Et si les gouvernements du Québec et de l'Alberta prennent acte des enjeux mondiaux soulevés par le Groupe d'experts et acceptent le fait que le statu quo n'est pas la solution.