La semaine dernière, la Banque du Canada a présenté des prévisions économiques détaillées où elle écartait un scénario de récession et parlait plutôt de «croissance anémique». La Banque du Canada n'est pas une binerie, c'est une institution essentielle, très respectée, dont les avis sont écoutés. Est-ce que ces prévisions, relativement optimistes dans les circonstances, ont rassuré? Pas le moins du monde.

Radio-Canada a même réussi à dire que «la Banque du Canada parle de récession». Et le Globe and Mail, en manchette, a écrit que le Canada, selon l'organisme, était «on the brink of recession», une formule dramatique qui suggère un bord de précipice. À en croire bien des médias, on pourrait avoir l'impression qu'un tsunami s'apprête à déferler.

 

Je ne veux pas accabler mes collègues, mais avec un peu de recul sociologique, on peut y voir une des manifestations de la dynamique de la perte de confiance. Il y a eu un choc financier énorme, qui a des impacts sur l'économie réelle. Mais ce n'est pas ça qui fait peur. C'est la possibilité que les mesures pour contenir cette crise ne fonctionnent pas, ou pire, que d'autres mauvaises surprises nous frappent. Une peur nourrie par la panique des marchés boursiers et sans doute amplifiée par les médias pour qui une récession est certainement plus hot qu'un ralentissement.

Et pourtant, s'il est évident que les États-Unis, et le monde entier, ont été ébranlés par une crise financière spectaculaire, rien n'indique qu'elle mènera notre économie à s'effondrer. Aucune maison de prévision sérieuse ne s'attend à une récession grave et encore moins à une crise. La situation, pour le Canada et le Québec, est sérieuse, difficile, mais pas dramatique. Ça vaut la peine de le rappeler.

Je ne veux pas être jovialiste. Le pire est toujours possible. Mais il n'est pas fou, dans une période marquée par l'incertitude, d'essayer de garder la tête froide et de tenir compte, aussi, des scénarios les plus probables et les plus plausibles. C'est d'autant plus essentiel que nous nous dirigeons vers une campagne électorale qui portera sur la situation économique au Québec. Encore faudrait-il savoir de quoi on parle.

La Banque du Canada, en tenant compte de la récession américaine, d'une légère récession mondiale, de la baisse du prix des produits de base, du resserrement du crédit, revoit ses prévisions à la baisse. Le ralentissement, déjà bien amorcé, sera plus prononcé, avec une croissance très faible de 0,6%, pour cette année et l'an prochain, et avec un creux au quatrième trimestre de cette année et au premier de 2009, où la croissance sera «anémique», pour ensuite reprendre progressivement de la vigueur.

Ce scénario est similaire à celui du Fonds monétaire international, qui prévoit que le Canada sera le pays industrialisé qui s'en sortira le mieux. C'est également le point de vue de la plupart des institutions financières: croissance très faible, stagnation, mais pas récession. Quelques maisons de prévision, minoritaires, s'attendent cependant à une récession légère.

Mais entre nous, il n'y a pas beaucoup de différence entre une croissance quasi nulle, juste au-dessus de zéro, et une récession légère, juste en dessous de zéro. Au-delà des querelles sémantiques, dans tous les cas de figure, il y a un consensus que l'on peut décrire comme un scénario de stagnation jusqu'en mars prochain.

Dans la vie de tous les jours, une croissance anémique signifie quoi? Nous ne sommes pas aux États-Unis, avec tous ces gens qui ont perdu leur maison, ruinés, forcés d'acheter des produits périmés. Ce qui nous attend, c'est encore six mois de ce que nous avons déjà commencé à vivre sans nous en apercevoir. Une période difficile, dont les effets seront très variables selon les secteurs. Une hausse du chômage, mais pas de mises à pied massives. Un contexte exigeant pour les entreprises, mais pas d'effondrement. Pas de grande misère, mais des consommateurs plus prudents.

Dans un tel contexte, le gouvernement n'a pas à se lancer dans de grandes manoeuvres spectaculaires. On aura davantage besoin d'interventions plus pointues, par exemple pour contrer le resserrement du crédit, aider les PME à ne pas abandonner leurs efforts de restructuration, soutenir l'adaptation des travailleurs.

À moins, bien sûr, que tous les spécialistes se trompent. Mais il est quand même logique de travailler sur la base du scénario consensuel. Tout en étant prêt à réagir si les choses vont plus mal.