Les conservateurs ont commencé à perdre quelques plumes au Québec, victimes de la mobilisation pour les empêcher de former un gouvernement majoritaire. Les sondages montrent que les bloquistes les ont dépassés et qu'ils pourraient les priver de la victoire dans plusieurs circonscriptions où la lutte est chaude.

M. Harper et ses stratèges sont les artisans de leur propre malheur. Ce sont eux qui ont adopté une stratégie de polarisation dans des dossiers à lourde charge symbolique, les coupes aux artistes et le durcissement des peines pour les jeunes contrevenants. En accentuant le clivage entre droite et gauche, ils croyaient lancer des grenades qui décimeraient les adversaires. Ils ont plutôt lancé un boomerang qui leur revient directement dans le front.

 

Les conservateurs ont mal lu le Québec. Pas dans le sens où on l'entend habituellement. Leur erreur de lecture ne provient pas du fait que les Québécois soient historiquement ou génétiquement réfractaires aux idées conservatrices. On a bien vu, au mois d'août, que les coupes dans les arts n'ont pas empêché les conservateurs de marquer des points.

Mais les stratèges du PCC n'avaient sans doute pas prévu que le débat déraperait, et que leurs idées sur les artistes, et sur les jeunes contrevenants, deviendraient un enjeu identitaire. Tant qu'on dénonçait leurs initiatives parce qu'elles étaient à droite, les conservateurs n'avaient rien à craindre. Mais quand elles ont commencé à être associées à des attaques contre le Québec, ils se sont retrouvés en terrain miné.

Il n'est sans doute pas exagéré de dire que la crise du financement des arts a été sciemment provoquée. Le gouvernement Harper aurait très bien pu revoir des programmes d'aide aux arts et même les éliminer sans provoquer de vagues. Il suffisait d'expliquer pourquoi on les supprimait, par quoi on les remplacerait, de souligner que les réductions de dépenses étaient modestes, que l'impact concret sur la vie des artistes était minime.

Mais non. Dès le départ, les conservateurs ont mis de l'huile sur le feu, dans ce que j'ai qualifié au mois d'août de «chasse aux artistes». Leurs porte-parole se sont moqués des artistes marginaux qui étaient subventionnés. Le premier ministre a lancé que les gens ordinaires ne seraient pas émus par les plaintes exprimées dans de «riches galas» et évoqué l'idée d'une forme de contrôle pour éviter de financer «des choses que les gens ne veulent pas». Le ministre des Finances a admis qu'il y avait des motifs politiques à ces décisions. En faisant le pari que l'indignation prévisible des artistes et des élites culturelles ne serait pas partagée par les citoyens.

C'était sans compter sur le glissement identitaire. On peut comprendre que les conservateurs ne l'aient pas vu venir, parce que celui-ci est assez irrationnel. Les compressions aux arts ne visaient pas seulement le Québec, mais tout autant les artistes anglo-canadiens. Et l'engagement conservateur précise que la ligne dure pour les jeunes criminels ne s'appliquera pas au Québec!

Pourquoi alors cet émoi national? Parce que les Québécois ramènent invariablement les enjeux canadiens à leur dimension québécoise. Parce que les peurs minoritaires ne sont jamais loin. Parce que le Bloc travaille fort sur les thèmes de la menace et de l'humiliation. Parce que les artistes, avec leurs excès sur le «génocide culturel» et la «culture en péril», ont donné un petit coup de pouce. Qu'on pense à la vidéo où Michel Rivard se voit refuser une subvention par des fonctionnaires anglophones, unilingues et bornés. Très drôle, mais complètement faux. Dans les faits, c'est plutôt une ministre francophone obtuse, Josée Verner, qui a supprimé l'aide aux artistes anglophones...

Ce détournement de débat aurait été impossible sans l'intervention providentielle des fédéralistes, qui ont eux aussi joué à fond la carte identitaire et lui ont donné sa légitimité. Le premier ministre Charest, qui profite de ces coupes pour rebâtir son image nationaliste. La ministre Christine St-Pierre qui a surfé sur le thème de la nation.

Mais paradoxalement, la palme revient aux libéraux de Stéphane Dion. Dramatique, le député Denis Coderre, dans une publicité du PLC, s'est exclamé: «Devant les caméras, Stephen Harper dit qu'il aime les Québécois. Mais par la porte d'en arrière, il fait des coupures dans notre culture. Il s'attaque directement au coeur de notre identité. Il doit nous aimer beaucoup!»

Avec des libéraux comme ça, plus besoin de bloquistes! Le message a bien passé. L'image pro-Québec du gouvernement Harper en a pris pour son rhume. Et l'idée qu'il faut bloquer les conservateurs a fait des progrès. À un détail près. Quand il s'agit de protéger leur identité qu'ils croient menacée, les Québécois ne se tournent pas vers libéraux, mais bien vers le Bloc.

adubuc@lapresse.ca