Voilà. C'est parti. C'est aujourd'hui que le premier ministre Stephen Harper annonce officiellement la dissolution du Parlement et la tenue d'élections générales à la mi-octobre.

En choisissant de provoquer des élections, il a désarçonné le chef de l'opposition, qui n'était pas encore prêt à renverser le gouvernement.

Parmi les raisons qui poussaient Stéphane Dion à vouloir remettre à plus tard le rendez-vous électoral, outre son impopularité chronique, figurait en bonne place le fait que les stratèges de son parti auraient préféré que la campagne électorale canadienne se déroule après les présidentielles américaines.

 

On comptait ainsi capitaliser sur l'impact d'une défaite de la droite républicaine et sur ses effets par la bande sur les conservateurs canadiens, et profiter de l'esprit de renouveau représenté par l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche. Ce scénario n'aura pas lieu, non seulement parce que les Canadiens iront aux urnes avant leurs voisins du Sud, mais aussi parce que, de toute façon, la victoire démocrate est loin d'être acquise.

Mais si les libéraux estiment avoir besoin d'un coup de pouce américain, le timing actuel est sans doute le meilleur. Les présidentielles américaines, que les Canadiens suivent avec plus d'attention et de passion que jamais dans le passé, se dérouleront en même temps que les élections canadiennes. Cela pourra avoir une influence sur les débats qui se dérouleront au nord du 45e parallèle. Ce feedback de la campagne américaine, cet effet Larsen, comme disent les scientifiques, pourrait fort bien donner un coup de pouce aux libéraux de Stéphane Dion.

Ceux qui ont suivi de près ou de loin les primaires, et plus particulièrement la convention républicaine de Saint Paul, la semaine dernière, peuvent comprendre facilement pourquoi. Il était difficile, pour un Québécois, tout comme pour un Canadien anglais, d'observer le déroulement de cette convention sans ressentir un profond malaise, face au patriotisme primaire, au ton guerrier, aux valeurs de la droite évangélique, à l'idéologie du laisser-faire, au conformisme culturel, au populisme haineux, tout comme au choix de Sarah Palin comme colistière.

Non seulement cette culture politique nous est-elle étrangère, mais elle nous semblera menaçante. Un sentiment qui sera partagé par une majorité de Canadiens, au-delà de leurs orientations idéologiques ou de leur province d'origine. Les valeurs dites canadiennes, largement consensuelles, sont en fait bien plus proches de celles des démocrates.

Et ce malaise sera encore plus palpable lorsque les présidentielles auront pris leur envol, que les gants seront tombés, et que les républicains, avec les tactiques qui ont fait leur force, s'acharneront sur les démocrates et leurs leaders. Plus ça volera bas, plus les Canadiens seront mal à l'aise.

Cet effet de feedback jouera certainement dans une campagne où l'un des grands enjeux sera la possibilité réelle que les conservateurs puissent former un gouvernement majoritaire. Les expressions les plus crues de l'idéologie républicaine fourniront des arguments précieux aux libéraux, qui voudront certainement insister sur les risques qui attendent les Canadiens si Stephen Harper et son équipe sont majoritaires et que les partis de l'opposition ne peuvent plus rien faire pour les empêcher de mettre en oeuvre leurs politiques de droite.

La satanisation des conservateurs, depuis que les réformistes ont pris le contrôle du parti, a déjà donné certains résultats lors de la campagne de Paul Martin, où ce dernier insistait, à tort d'ailleurs, sur les menaces qu'un gouvernement conservateur ferait peser sur le système de santé canadien. Cette fois-ci, les exemples d'initiatives du gouvernement Harper inspirées du conservatisme social sont assez nombreux, que ce soit sur l'avortement, la loi et l'ordre, les armes à feu, l'environnement, les arts, pour alimenter une campagne de peur efficace.

Bien sûr, ces parallèles sont injustes. Les courants qui dominent la famille républicaine existent aussi au Parti conservateur, où l'on voit parfois poindre leur jupon. Mais ce parti est une coalition, ce qui temporise les risques d'excès, et ses origines puisent aux mêmes valeurs canadiennes. Un gouvernement Harper, même majoritaire, ne pourra pas faire abstraction de l'électorat. Assez pour que les scénarios de programme secret relèvent de la caricature.

Mais la caricature peut être rentable en politique, surtout que, dans ce cas, elle peut se nourrir de l'anti-américanisme profondément ancré dans la culture canadienne. Un pays dont l'histoire même repose sur un refus de l'aventure américaine et qui, depuis, se bat pour affirmer son identité face à un voisin dominant.

Voilà pourquoi John McCain et Sarah Palin pourront être de précieux alliés pour Stéphane Dion. Si celui-ci veut jouer dur, il n'aura qu'à dire: «Regardez ce qui se passe chez nos voisins. Voulez-vous que ça arrive ici?»