Y a-t-il un débat, au Canada, qui puisse échapper à la politique ? Il semble bien que non. Même la flambée des cas de listériose a provoqué de vives réactions chez nos politiciens fédéraux qui, il faut s’en souvenir, sont sur le sentier de la guerre électorale.

Les partis de l’opposition ont dénoncé avec la plus grande vigueur un projet conservateur qui réduirait le rôle direct de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, notamment pour l’inspection des viandes, et qui confierait de plus grandes responsabilités aux abattoirs et aux usines de transformation.

Il n’y a évidemment pas de lien direct entre ce projet gouvernemental et la présence de la bactérie dans une usine de Maple Leaf, à Toronto. Cet accident s’est produit dans le régime de contrôle actuel. Mais l’occasion était trop belle de faire porter, par association, une partie de la responsabilité de cet incident à un gouvernement qui n’y est pour rien. En laissant entendre que, dans l’avenir, si les conservateurs sont laissés à eux-mêmes, ce sera encore pire.

Cet amalgame est possible parce que les politiciens, dans ce dossier, peuvent jouer sur deux peurs puissantes : la peur de la maladie et la peur du secteur privé.

Les questions de santé suscitent toujours de l’émotion, parce qu’elles sont associées à la maladie, à la souffrance et à la mort. Encore plus dans une période où les gens sont inquiets parce que leur système de santé connaît des ratés. À cela s’ajoutent les terreurs ataviques provoquées par le spectre d’épidémies.

Et pourtant, aussi sérieux soient-ils, les récents cas de listériose ne justifient pas tous les débordements, comme ceux de cet universitaire qui est sorti de sa réserve scientifique pour dire à La Presse que la contamination alimentaire pourrait être notre prochain 11 septembre.

Loin de moi l’idée de banaliser ce qui s’est passé. Il y a eu une dizaine de morts, une vingtaine de personnes ont été atteintes d’une infection très grave. Il y en aura sans doute plus. Mais il faut se souvenir que cette bactérie n’est pas contagieuse, que la grande majorité des humains y résistent. Et que le risque de contracter la listériose est probablement aussi grand en mangeant du chou qu’une tranche de jambon. Il faut se souvenir aussi que ce triste événement a fait moins de morts depuis une semaine que les accidents de la route et sans doute les maladies nosocomiales.

Mais une question se pose. Notre système d’inspection se détériorera-t-il si on confie plus de responsabilités au privé? Dans ce questionnement se profile la méfiance du secteur privé et l’opposition manichéenne entre bons et méchants. Les méchants du privé qui seront tentés par les compromis, les négligences et des raccourcis pour réduire les coûts et augmenter les profits. Et les bons du public au service du citoyen. Dans la même logique, on se méfiera d’ailleurs davantage des grosses entreprises, comme Maple Leaf, qui incarnent le capitalisme. Et on craindra moins les artisans et les petits producteurs, où les risques d’accident sont probablement plus grands en raison du manque de moyens et de formation .

Cette logique a ses failles. Parce qu’il y a trop de cas où l’on voit que le secteur public, prisonnier de sa propre logique, défend mal le public. À l’inverse, il y a quelque chose de simpliste à associer laxisme et logique du profit. Il suffit de voir ce qui arrive à Maple Leaf : des coûts probables de 20 millions de dollars, une chute des cours boursiers, un dommage énorme à sa réputation. C’est dans l’intérêt des entreprises de faire attention.

Ce n’est pas une apologie du laisser-faire. Les humains, les institutions, privées et publiques, ont besoin de mécanismes de contrôles, de normes à respecter, de cibles à atteindre, surtout quand il s’agit de l’intérêt public. Mais dans ce genre de dossier où l’on oppose le privé et le public, comme en santé, ou maintenant pour l’inspection des aliments, on pose mal le problème.

Il ne s’agit pas de savoir qui est responsable de la sécurité des aliments. La question ne se pose même pas. Il semble évident que la responsabilité ultime revient à l’État, qui est le chien de garde, qui définit les règles du jeu. Il s’agit plutôt de savoir ce que l’on fait, et qui le fait. Ce n’est pas parce que l’État est responsable qu’il jouera bien son rôle en faisant tout lui-même.

N’oublions pas qu’une autre bactérie, le E. coli, a fait plus de morts que la listeria, dans des hôpitaux publics. Et que certains de ces hôpitaux étaient probablement moins propres et moins salubres qu’une usine de Maple Leaf.