Avec les funérailles de Shimon Peres, les Israéliens ont marqué vendredi non seulement la mort de l'un des derniers pères fondateurs de leur pays, mais aussi, et peut-être surtout, la fin d'une époque et des rêves qu'elle portait.

Né en Pologne en 1923, celui qui s'appelle alors Szymon Perski débarque en Palestine à l'âge de 11 ans. Il vit son enfance dans un kibboutz où règne le sionisme socialiste, épris d'égalité et de justice sociale, qui a servi de fondement au jeune État hébreu.

Sa carrière publique s'étalera sur près de sept décennies : tour à tour militaire, responsable de l'achat des armes pour le pays tout neuf, puis directeur du ministère de la Défense, il a permis à Israël de se doter d'un programme nucléaire et a largement contribué à son éclatante victoire de 1967.

Au fil de sa carrière politique, qu'il a amorcée au sein du Parti travailliste, Shimon Peres occupera une douzaine de postes ministériels, exercera trois fois le rôle de premier ministre, avant d'occuper pendant sept ans le siège présidentiel.

Ce qu'on retient surtout de son parcours, c'est le rôle crucial qu'il a joué dans les négociations de paix et les accords d'Oslo, qui lui ont valu le prix Nobel de la paix.

Mais Shimon Peres était-il vraiment, d'abord et avant tout, un homme de paix ? Lui qui a commencé sa carrière en négociant des contrats d'armes, qui a été le premier à prôner la colonisation des territoires conquis par Israël en 1967 ? Et qui a fini par faire alliance avec Ariel Sharon, leader de droite férocement opposé à la création d'un État palestinien ?

Depuis sa mort, mercredi, ceux qui l'ont suivi ou rencontré en tracent un portrait tout en contradictions et en ruptures successives. Il a été le père des premières implantations juives en Cisjordanie, « un faucon que l'on prenait pour une colombe, un pragmatique qui passait pour un idéaliste, un homme de vision que ses ennemis accusaient de souffrir d'hallucinations », écrit le commentateur israélien Chemi Shalev.

Malgré ses bifurcations, sa ligne de conduite était pourtant claire : il était motivé d'abord par la sécurité d'Israël, souligne un autre analyste, Nehemia Shtrasler. C'est au nom de cette sécurité territoriale que Peres a soutenu les initiatives d'occupation de la Cisjordanie. Mais c'est aussi au nom de cette sécurité qu'il avait été le premier à tenter une réconciliation israélo-palestinienne - tentative qui aboutit, en 1987, à une entente avec le roi Hussein de Jordanie. Cet accord est jeté au panier quand son gouvernement perd le pouvoir au profit de la droite. Mais Shimon Peres ne jette pas l'éponge et pousse, dès le début des années 90, pour des négociations directes avec les Palestiniens. À cette époque, pour la majorité de l'opinion publique israélienne, ce geste passait pour de la pure folie.

On connaît la suite : les accords d'Oslo sont signés en 1993, mais les négociations qui suivent finissent par se fracasser dans des vagues d'attentats et de conflits armés.

Les opinions publiques se radicalisent progressivement, des deux côtés de la « ligne de front. » En Israël, les juifs ultra-orthodoxes ont le vent dans les voiles.

La colonisation s'accélère, non plus pour des raisons militaires, mais au nom d'une quête religieuse. L'État hébreu est loin, très loin de l'idéal socialiste de l'époque de ses balbutiements.

« Ce dernières années, Shimon Peres a été la feuille de vigne d'Israël », écrit Chemi Shalev. En d'autres mots : ce dernier survivant d'un Israël mythique, ce bâtisseur qui savait manier l'arme et la diplomatie, incarnait la bonne conscience d'un pays qui avait tourné le dos à la paix. « Il était le pays que tous voulaient, plutôt que le pays qu'Israël est devenu. »

Pour Leila Shahid, ex-ambassadrice de la Palestine en France, qui reconnaît le rôle historique de Peres dans les accords d'Oslo, l'ex-président de l'État hébreu a malheureusement contribué à « tuer le camp de la paix » en acceptant de se joindre au gouvernement du chef du parti de droite Likoud, Ariel Sharon, en 2005.

Interviewée par le magazine L'Obs, Leila Shahid raconte avoir croisé Shimon Peres à cette époque et lui avoir demandé comment, lui qui avait construit les accords d'Oslo, pouvait s'allier à un homme qui voulait les détruire. « Je vais changer Ariel Sharon de l'intérieur du gouvernement », lui aurait-il répondu. Il a, de toute évidence, perdu son pari.

L'analyste israélien Gideon Levy est encore plus dur à l'endroit de Shimon Peres. « Si Israël est au bord d'un abîme moral, Peres y a contribué. Si c'est un pays en route vers l'apartheid, il a fait partie de ses fondateurs », écrit-il dans le quotidien Haaretz.

Alors, homme de guerre ou homme de paix ? « Il était tout cela », écrit l'ancien ambassadeur des États-Unis en Israël, Daniel Kurtzer. « Certains mettront l'accent sur son soutien à la colonisation, alors que d'autres admireront sa vision de la paix. Mais en réalité, Shimon Peres a été tout cela, et en cela, il a été la véritable incarnation d'un Israël moderne. »

Chose certaine, cet homme qui a été au coeur de l'histoire tourmentée de son pays emporte avec lui ses rêves de paix, de justice et d'équité. Ils avaient beau être imparfaits et bourrés de contradictions, ils avaient le grand mérite d'exister.