De mémoire d'historien, on n'avait jamais vu ça : un parti politique américain se lancer dans la course à la présidentielle dans un état de désunion semblable à celui qui déchire les républicains sous la gouverne de Donald Trump.

Il y a bien eu les élections de 1884, alors que des accusations de corruption pesant contre le candidat républicain James Blaine avaient poussé une aile de son parti à rejoindre les rangs des démocrates, rappelle Gil Troy, spécialiste de l'histoire politique des États-Unis à l'Université McGill. C'est ce qu'on avait appelé le mouvement des « Mugwumps. »

Plus près de nous, il y a eu une faction de « démocrates pour Nixon » en 1972, et un groupe de « républicains pour Kennedy » en 1960.

Mais selon Gil Troy, aucune de ces fissures politiques n'a eu l'ampleur des turbulences républicaines actuelles. Il faut dire que celles-ci se jouent non seulement à la base du parti, mais aussi à son sommet. Au moment où s'amorce la campagne électorale qui désignera le prochain occupant de la Maison-Blanche, le candidat républicain est en effet entré en collision frontale avec des poids lourds de son propre parti. Dont le sénateur et ex-candidat à la présidence John McCain et le président de la Chambre des représentants Paul Ryan.

La crise aiguë a éclaté dans la foulée de « l'affaire Khan », où on a vu Donald Trump attaquer publiquement les parents d'un soldat de confession musulmane, mort en Irak en 2004.

Le magnat de l'immobilier a vraisemblablement sous-estimé le lien qui unit ses compatriotes à leur armée. Mais Donald Trump a dit bien des horreurs avant la fin des primaires sans soulever de réactions aussi virulentes.

Peut-être lui a-t-on passé ses frasques en pensant qu'après avoir été investi candidat, il rentrerait dans le rang et se comporterait de manière plus présidentielle. Erreur : il en a plutôt remis dans l'insulte et la démesure.

Critiqué par John McCain et Paul Ryan, le milliardaire à la chevelure orangée a aussi perdu l'appui de Henry Paulson, ex-secrétaire du Trésor, et de Richard Armitage, ex-secrétaire d'État adjoint - qui est allé jusqu'à appeler les républicains à voter pour Hillary Clinton.

Les dissensions sont telles que des médias se demandent publiquement si le candidat Trump restera en selle jusqu'au jour du vote. « Donald Trump pourrait-il se désister ? », demande l'analyste Justin Wolfers dans le New York Times.

« Comment les républicains pourraient-ils se débarrasser de Trump ? Voici 7 scénarios », écrit le site d'information Vox.

Quels scénarios ? La direction du parti pourrait essayer de remplacer Trump par un autre candidat, ou le pousser vers la sortie, ou le désavouer officiellement, ou encore refuser de lui fournir ses ressources électorales. Sauf qu'à cette étape-ci de la course, ces scénarios sont strictement théoriques. Et hautement improbables.

Les dirigeants républicains sont piégés : s'ils critiquent trop leur candidat, ils risquent de donner l'impression de suivre l'appel anti-Trump que vient de lancer Barack Obama et de donner du crédit à un président honni par la base républicaine ; s'ils ne disent rien, ils risquent de perdre les voix des républicains modérés.

Il ne leur reste donc plus qu'à prier pour que Donald Trump réfrène ses ardeurs et cesse de dire n'importe quoi. Une stratégie qui n'a pas été bien payante jusqu'à maintenant.

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Pendant ce temps, nous assistons à un curieux retour de balancier. Il n'y a pas si longtemps, l'éventualité de la candidature de Donald Trump à l'investiture républicaine suscitait des haussements d'épaules amusés. Voyons, pensait-on, ce serait la meilleure chose qui puisse arriver à Hillary Clinton. Jamais les républicains ne lui feront ce cadeau...

Puis, le magnat de l'immobilier a commencé à faire mentir les analystes et à défoncer toutes les barrières. Quand il est devenu clair qu'il décrocherait l'investiture républicaine, plus personne n'osait rejeter d'un revers de main l'éventualité de sa victoire au vote de novembre.

Or, ses dernières frasques post-primaires semblent jouer en faveur de sa rivale. Selon le New York Times, Hillary Clinton le devance en moyenne de 5 points dans les récents sondages (à 45 % d'intentions de vote contre 40 % pour Donald Trump).

Le plus récent sondage de Fox News place la candidate démocrate à 49 %, contre 39 % pour le candidat républicain, qui traîne aussi la patte dans plusieurs des États-clés sans lesquels la victoire risque de lui échapper, dont le New Hampshire et la Pennsylvanie.

Autre signe encourageant pour Hillary Clinton : la remontée de l'indice de popularité de Barack Obama.

« Le phénomène Trump a été nourri non seulement par le rejet de Hillary Clinton, mais aussi par l'insatisfaction face à Barack Obama, note Gil Troy. Si davantage d'Américains sont contents d'Obama, ils seront moins nombreux à se laisser aller à voter pour Trump. »

La campagne présidentielle est encore bien jeune, et tous les rebondissements sont encore possibles. Mais le ballon de Donald Trump a peut-être commencé à se dégonfler. À tout le moins, on peut l'espérer.

Photo John GURZINSKI, Agence France-Presse

« Le phénomène Trump a été nourri non seulement par le rejet d'Hillary Clinton, mais aussi par l’insatisfaction face à Barack Obama », note Gil Troy, spécialiste de l’histoire politique des États-Unis à l’Université McGill.