Dans un geste de rupture historique qui a suivi quatre mois d'une campagne exceptionnellement acrimonieuse, les électeurs britanniques ont choisi hier de tourner le dos à l'Union européenne.

À l'aube, ce matin, la BBC a prédit la victoire du camp du « Leave », avec environ quatre points d'avance sur le camp du « Remain ». Ce dénouement d'une nuit de suspense a immédiatement provoqué la chute de la livre sterling à un niveau qu'elle n'avait pas connu depuis trois décennies.

Les slogans patriotiques du camp du « Brexit », ses appels à la souveraineté et au contrôle des frontières, doublés du soutien massif de la presse britannique à une sortie de l'Union européenne, auront convaincu une majorité d'électeurs de tracer leur croix dans la case du « Leave ».

Ce résultat, qui crée une situation inédite dans l'histoire de l'Union européenne, contredit les tout derniers sondages qui assuraient, en début de soirée, une probable victoire au camp du « Remain ». Mais à mesure qu'affluaient les résultats, région par région, le vote favorable à une sortie de l'Union européenne s'affirmait avec une force supérieure aux pronostics.

La courte avance du vote pour le Brexit, qui a remporté 52 % des voix contre 48 % pour le maintien dans l'UE, laisse théoriquement tous les scénarios ouverts - y compris celui d'une contreproposition européenne pour ramener Londres dans le bercail européen.

Ce scénario paraît cependant peu probable et une majorité de voix appelaient ce matin au respect de la volonté des électeurs dans cette décision qui risque de bouleverser profondément non seulement la Grande-Bretagne, mais aussi tout le continent européen.

La Grande-Bretagne se réveille aujourd'hui avec une solide gueule de bois. « Nous sortons de cette campagne plus divisés que lorsqu'elle a commencé, avec de profondes fractures géographiques, sociales et générationnelles », résume Matthew Goodwin, politologue de l'Université du Kent.

En effet, le Brexit doit sa victoire aux régions rurales et aux centres industriels en déclin, tandis que la capitale de même que l'Écosse ont voté pour le maintien dans l'UE.

Les sondages indiquent que les jeunes électeurs appuient le camp du « IN », tandis que les plus vieux favorisent à 60 % l'option du « OUT ». Autre division, l'appui au « Remain » augmente avec le niveau d'éducation.

« La campagne a été extrêmement dure. Le débat sur l'immigration est devenu toxique, il sera difficile de panser les plaies et de nous réunir à nouveau », déplore Kevin Featherstone, directeur de l'Institut européen de la London School of Economics (LSE).

Celle-ci avait organisé, hier, une soirée électorale rassemblant une brochette d'experts pour analyser les raisons et les conséquences du vote. La plupart d'entre eux s'entendent pour dire que le Royaume Uni et l'Union européenne entrent dans une zone de turbulences à l'issue imprévisible.

Jamais un pays n'a encore quitté l'Union européenne. Comment en est-on arrivé là ? Ce qui ressort de ce référendum, « c'est qu'une grande partie de la population britannique a le sentiment que l'Union européenne ne se soucie pas d'elle, que la mondialisation ne lui profite pas et que sa voix n'est pas entendue à Westminster », note Matthew Goodwin, politologue à l'Université du Kent.

« Ce référendum est un signal d'alarme face au danger d'euroscepticisme populiste », renchérit Kevin Featherstone.

Et ici, la Grande-Bretagne n'est pas un cas unique. « Le malaise existe aussi dans d'autres pays européens. Les eurosceptiques français, danois et suédois ne pourront qu'être galvanisés par ces résultats. »

Le Royaume-Uni se trouve confronté, selon cet analyste, à deux phénomènes politiques marquants de notre époque : le rejet des élites et la peur des immigrants. Ces deux facteurs ont été déterminants pour l'issue du vote. Et Nigel Farage, leader du Parti pour l'indépendance du Royaume Uni (UKIP), qui a été le moteur de la campagne en faveur du Brexit, n'a pas manqué de décrire sa victoire comme « la victoire du vrai monde, celle des gens ordinaires et décents ».

LA GRANDE INCONNUE

La Grande-Bretagne entre maintenant dans une période de grande incertitude. Il y aura des conséquences politiques intérieures, prévoient les experts. Ce résultat met en cause l'avenir politique du premier ministre conservateur David Cameron, qui aura organisé et perdu ce référendum. Et dont le parti est sorti cassé en deux, entre les pro et anti Brexit, au terme de la campagne référendaire.

Mais la position du leader travailliste Jeremy Corbyn, qui s'est mollement rangé derrière l'option du « Remain », est tout aussi menacée.

Ces turbulences nationales risquent d'affaiblir le pays alors qu'il devra mener des négociations inédites avec Bruxelles. Qu'arrivera-t-il dans les mois et années qui viennent ? L'UE peut-elle encore convaincre la Grande-Bretagne de ne pas la quitter, moyennant la reconnaissance de son « caractère distinct » et des aménagements en conséquence ?

Sinon, quelles seront exactement les répercussions du divorce ? Comment négociera-t-on le « partage du patrimoine » ? Qu'arrivera-t-il aux étrangers établis en Grande-Bretagne, aux contrôles frontaliers ? Ou encore à l'Écosse - qui a voté massivement pour le maintien des liens avec l'UE et qui pourrait décider de vouloir à son tour voler de ses propres ailes ?

Ces questions préoccupaient certains des électeurs du « IN », hier.

« C'est ridicule de vouloir quitter l'Union européenne. Ça va prendre 20 ans pour réécrire toutes nos lois et ça coûtera des millions de livres sterling aux contribuables. Ça nuira à la Grande-Bretagne et ça nuira à l'Europe », s'inquiétait hier Nicola Mole, une avocate croisée dans un bureau de vote de la capitale, alors qu'elle venait de tracer sa croix dans la case du « Remain ».

« Je serais anéantie si on devait voter pour le Brexit. L'Union européenne, c'est la paix, l'unité, la justice », opinait Sandy Foster, une comédienne dans la jeune trentaine.

Une sortie de l'UE ne peut que provoquer des retombées économiques négatives, reconnaissent même les tenants de cette option. Mais ceux-ci minimisent ces conséquences.

« Nous sommes la deuxième économie en importance de l'Europe. Bruxelles n'aura pas le choix, il va devoir signer un accord avantageux avec nous et nous pourrons commercer avec la planète entière », assurait James Walters, gérant de pubs rencontré dans le même bureau de scrutin.

Les électeurs des deux camps ne s'entendaient que sur une chose : l'importance de ce vote crucial pour l'avenir de leur pays. Ce qui a poussé une proportion de 70 % des électeurs à aller voter, marquant ainsi un taux de participation exceptionnellement élevé, ce qui assure une légitimité démocratique aux résultats de la consultation.