L'autre jour, Yesman Utrera a voulu acheter des couches pour son bébé de 8 mois. Il a fait la queue devant un magasin pendant six interminables heures. Et quand il est arrivé au comptoir, des couches, il n'en restait plus.

« C'est la même chose pour le lait, pour les médicaments, pour le pain et le riz », énumère le journaliste vénézuélien que j'ai joint jeudi à Caracas.

Yesman Utrera se trouve relativement chanceux : la crise qui secoue son pays lui apporte des contrats avec des médias étrangers. Malgré cela, sa famille est très éprouvée par l'inflation galopante et par les pénuries chroniques qui dégarnissent les étagères des supermarchés - tout en faisant fleurir un marché noir prohibitif.

« Normalement, 1 kg de riz coûte 200 bolivars, mais au marché noir, c'est 2000. Quand on gagne 20 000 bolivars par mois, on ne peut pas payer ce prix. »

Yesman et sa famille vivent dans un bidonville de la capitale vénézuélienne, un quartier où l'ancien président Hugo Chávez était traditionnellement populaire, grâce à ses politiques sociales financées par les revenus pétroliers.

Mais Hugo Chávez est mort et enterré. Les cours de brut se sont effondrés. Et il n'y a plus de richesse à distribuer.

Résultat : ceux dont le sort s'était amélioré grâce à la « révolution bolivarienne » de Chávez sont en train de retomber dans la misère.

« Les gens n'arrivent plus à manger trois fois par jour, ils ne trouvent plus les protéines dont ils ont besoin, il y a énormément de colère et de frustration, le pays est au point d'ébullition »

- Le jeune journaliste Yesman Utrera

Et qui blâme-t-on pour cette dégringolade qui est en train de pousser le Venezuela au fond du gouffre ? Nicolás Maduro, le successeur de Chávez.

Les Vénézuéliens ont été longtemps très divisés entre « pro » et « anti » Chávez. Aujourd'hui, l'opinion publique a basculé. Trois ans après l'arrivée au pouvoir du dauphin de Chávez, Nicolás Maduro, plus de 70 % d'entre eux souhaitent la tenue d'un référendum sur la destitution du président. Les deux tiers espèrent qu'il partira avant la fin de l'année. Plus de 90 % estiment que leur pays va mal. Tandis que la cote de popularité du président Maduro fond à vue d'oeil : aux dernières nouvelles, elle n'était plus qu'à 26 %.

La crise touche tous les secteurs d'activité mais elle frappe particulièrement le secteur médical. Il faut dire que le Venezuela importe 90 % des médicaments qu'il consomme. Les importations, c'est bien, tant qu'on a de l'argent. Mais aujourd'hui, des Vénézuéliens meurent parce qu'ils n'ont pas accès aux traitements de chimiothérapie, à l'insuline, aux médicaments contre la haute pression artérielle ou les problèmes cardiaques.

Un chiffre en dit beaucoup sur l'ampleur de la crise : en quatre ans, le taux de mortalité par cancer a augmenté de 5 % !

La crise frappe tout le monde, même les grandes sociétés, comme Coca-Cola ou la brasserie Empresa qui ont dû suspendre leur production, faute de sucre et de houblon.

Elle frappe aussi, de plein fouet, les plus pauvres, ceux qui voyaient Hugo Chávez comme un sauveur. En trois ans, Nicolás Maduro a dilapidé ce capital de sympathie. « Dans mon bidonville, les gens sont tous en faveur du référendum », dit Yesman Utrera.

Mais Nicolás Maduro, qui doit bien savoir lire les sondages lui aussi, ne veut pas soumettre sa présidence au vote populaire. Jeudi, la commission électorale qui devait recevoir 1,8 million de signatures réclamant la tenue d'une consultation populaire sur la destitution du président a fini par annuler sa réunion.

Et hier, des Vénézuéliens ont manifesté un peu partout au pays en criant : « J'ai faim. »

La crise vénézuélienne « est un désastre politique et économique », résume Graciela Ducatenzeiler, spécialiste de l'Amérique latine à l'Université de Montréal. Elle rappelle que l'opposition, qui a remporté les deux tiers des suffrages en décembre dernier, se trouve complètement paralysée. « Maduro bloque toutes les décisions du pouvoir législatif. »

Résultat : ce pays de 30 millions d'habitants, assis sur les plus riches réserves pétrolières de la planète, est en train de se déliter devant nos yeux. Et cette dégringolade, c'est l'un des legs de la « révolution bolivarienne » qui n'a pas profité des années des vaches grasses pour investir dans le développement du pays et le rendre moins dépendant de ses voisins.

C'est comme dans la fable de La Fontaine : la cigale vénézuélienne se trouve aujourd'hui fort dépourvue. Et son président, s'accrochant au pouvoir contre vents et marées, n'est plus qu'un potentat autoritaire, sans le charisme ni les moyens de son illustre prédécesseur.