Si vous inscrivez « île de Samal » dans le moteur de recherche de Google, vous découvrirez des images de plages blondes donnant sur l'eau turquoise et translucide du golfe de Davao, dans le sud des Philippines.

C'est dans une marina campée dans ce décor paradisiaque qu'un commando d'une dizaine d'hommes a kidnappé quatre personnes, dont les Canadiens John Ridsdel et Robert Hall, dans la nuit du 21 septembre dernier.

Mardi, leurs ravisseurs ont fait circuler une vidéo sordide montrant la décapitation de John Ridsdel. Sur une deuxième vidéo, ils réclament une rançon de 30 millions de dollars pour chacun de leurs trois autres otages. À défaut de quoi ils risquent de connaître, d'ici un mois, le même sort que John Ridsdel.

Ce kidnapping porte la signature d'Abou Sayyaf - une organisation qui se réclamait d'Al-Qaïda avant de prêter allégeance au groupe armé État islamique. Mais derrière ces images de marque de l'islamisme radical on retrouve, en réalité, une bande de criminels spécialisés dans la piraterie et les prises d'otages. Et qui ont radicalisé leurs méthodes d'action, à la veille des élections législatives et présidentielle de demain, comme le constatent les spécialistes des Philippines.

L'histoire d'Abou Sayyaf, fondé au début des années 90, est inscrite dans l'histoire de la lutte pour l'autonomie des musulmans de Mindanao, la deuxième île de l'archipel philippin pour la superficie. En 1996, le gouvernement des Philippines a conclu un accord de paix avec le Front Moro de libération nationale. Abou Sayyaf a rejeté ces accords pour continuer à semer la terreur au nom de l'islam.

Le groupe ne compte plus que quelques centaines de membres, éparpillés entre différentes brigades. « Ce groupuscule est plus proche du banditisme que du mouvement idéologique panislamiste » dit Dominique Caouette, chercheur au Centre d'études de l'Asie de l'Est à l'Université de Montréal.

Avec un maximum de 600 militants, ce n'est pas tant la taille d'Abou Sayyaf qui inspire la peur que son extrême violence, un phénomène relativement nouveau pour ce groupe qui en est à son deuxième otage assassiné, souligne Dominique Caouette. Selon lui, cette soudaine radicalisation pourrait constituer une réponse à l'offensive antiterroriste lancée récemment par l'armée philippine. Mais elle pourrait aussi avoir un lien avec les élections du 9 mai, qui portent entre autres sur la question de la sécurité.

Autre élément inquiétant : les rebelles, qui sont basés dans l'archipel de Sulu, dans le sud-ouest des Philippines - c'est là que John Ridsdel a été assassiné -, tirent une partie de leur force des liens de sympathie dont ils disposent au sein de la population locale. Une population démunie et laissée à l'abandon par le pouvoir.

« La région de Sulu a le plus haut taux de pauvreté et le plus faible indice de développement de toutes les Philippines », dit Joseph Franco, spécialiste des groupes radicaux philippins à l'École d'études internationales S. Rajaratnam, à Singapour.

Les rebelles d'Abou Sayyaf sont donc imbriqués parmi les habitants de ce chapelet de petites îles. « C'est un secret de polichinelle qu'ils retournent une partie de leurs bénéfices aux autorités locales », dit Joseph Franco.

Traditionnellement, la région de Sulu a abrité des foyers de piraterie et de trafics divers échappant au contrôle de l'État. Les rebelles d'Abou Sayyaf y sont vus comme des Robins des Bois redistribuant des biens volés aux riches, note Dominique Caouette.

Une perception qu'accentuent les préjugés auxquels se heurtent les musulmans, qui ne sont pas toujours perçus comme de « vrais Philippins » dans ce pays à large majorité catholique.

Voilà donc le contexte dans lequel se déroule le compte à rebours pour Robert Hall et ses deux compagnons d'infortune : un Norvégien et sa femme philippine.

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Comme c'est toujours le cas dans des prises d'otages, le premier ministre Justin Trudeau a clamé haut et fort son refus de payer quelque rançon que ce soit pour faire libérer des otages canadiens.

C'est ce qu'avait assuré Stephen Harper alors que deux diplomates canadiens, Robert Fowler et Louis Guay, venaient d'être libérés par un groupe affilié à Al Qaïda après avoir été détenus pendant 130 jours dans le Sahel, en 2008-2009.

Ses affirmations, destinées à ne pas encourager d'autres enlèvements de citoyens canadiens, correspondent rarement à la réalité.

L'ancien diplomate canadien Gar Pardy, qui a contribué à la libération d'une centaine d'otages canadiens, écrit ceci dans une récente lettre publiée dans le Ottawa Citizen : « Je ne peux pas fournir de détails mais on peut dire avec certitude que si un otage a été libéré, c'est qu'une rançon quelconque a été versée. Croire que les preneurs d'otages peuvent changer d'idée équivaut à croire à un conte de fées. »

De toute évidence, ce conte de fées ne s'est pas concrétisé pour John Ridsdel, le premier otage canadien à avoir été exécuté par ses ravisseurs.