Il y a des professions collectives d'amour qui se déclinent sur les réseaux sociaux sous les mots-clics #HugABrit et #PleaseDontGoUk. Donnez un câlin à un Britannique. S'il te plaît, Royaume-Uni, ne nous quitte pas...

Il y a un premier ministre qui s'est fait élire en promettant d'aller chercher plus de pouvoirs pour son pays, sous la menace du divorce. Et qui est rentré de ce marchandage avec un panier aux trois quarts vide.

Il y a surtout deux camps, presque égaux en force, qui se reprochent mutuellement de semer la peur ou de manquer de prudence.

Difficile, pour un Québécois, de ne pas avoir un sentiment de déjà vu en suivant la campagne en vue du référendum du 23 juin, au cours duquel les électeurs britanniques décideront s'ils quittent ou non l'Union européenne.

Les derniers sondages accordent une avance microscopique au camp pro-Union : 43 % contre 42 %. « Mais la dynamique politique joue en faveur de la rupture », constate Anand Menon, professeur de politique européenne au King's College de Londres. Le fait que le maire de Londres, Boris Johnson, ait pris position pour le « Brexit » (contraction de « Britain » et d'« Exit ») donne un bon coup de pouce à cette option, note le politologue qui dirige un groupe de recherche sur le « Royaume-Uni dans une Europe en changement ».

A 'Leave' supporter holds a banner near the Electoral Commission, in London, Thursday, March 31, 2016. Grassroots Out submitted its application to the Electoral Commission for designation as the official 'Leave' campaign in the EU referendum. (AP Photo/Kirsty Wigglesworth)

Deux consultations populaires récentes, en décembre au Danemark, et début avril aux Pays-Bas, ont également donné la victoire aux eurosceptiques. Le vote portait sur des questions marginales, mais les résultats ont encore affaibli l'image de l'Union européenne. « Ça donne l'impression que l'Europe est toxique. Les gens se disent : "Regardez comme ça va mal. Pourquoi voulez-vous qu'on en fasse partie ?" », dit Frédéric Mérand, directeur du Centre d'étude et de recherches internationales de l'Université de Montréal.

Ajoutez-y les récentes révélations des Panama Papers qui éclaboussent le premier ministre David Cameron, et vous n'êtes pas loin des conditions parfaites pour une tempête... Ceci à deux mois d'un vote sans précédent, dont l'UE sortira peut-être, pour la première fois de son existence, amputée de l'un de ses États membres.

Mais les jeux sont loin d'être faits : entre 15 et 20 % des Britanniques n'ont toujours pas décidé comment ils allaient voter le 23 juin. Et c'est justement à ces indécis que s'adressent les instigateurs de la « bombe d'amour » lancée il y a une dizaine de jours sur les réseaux sociaux. Elle s'est répandue en une vague d'égoportraits d'Européens embrassant ou serrant dans leurs bras des Britanniques plus ou moins célèbres, qu'il s'agisse du buste de Virginia Woolf, ou alors d'une vidéo montrant l'humoriste français Gad Elmaleh serrant dans ses bras le comédien britannique Eddie Izzard.

À l'origine de cette offensive d'amour, on retrouve une dizaine de copains établis à Londres et originaires de divers pays européens, explique l'Autrichienne Tessa Szyszkowitz, l'une des fondatrices du mouvement.

« Quand les Britanniques pensent à l'Union européenne, ils pensent à sa bureaucratie. Nous voulions leur rappeler que l'Europe, ce sont aussi des gens », dit cette journaliste de 48 ans que j'ai jointe au téléphone, hier.

Le groupe compte tenir son lancement officiel mercredi prochain - précisément deux mois avant ce vote que Tessa Szyszkowitz juge « absolument crucial ». Mais la campagne #HugABrit est déjà devenue virale. « Elle n'est plus entre nos mains, toutes sortes de gens prennent des photos et les publient sur leurs sites. »

Et maintenant, la grande question : est-ce que ça marche ? Quel est au juste l'impact de ces déclarations d'amour en série ? « Il n'y en a pas », tranche le chercheur Anand Menon.

La réponse donnée en février par Bruxelles aux demandes d'aménagements spéciaux réclamés par le premier ministre David Cameron n'en a pas eu non plus, selon lui. Les concessions arrachées à Bruxelles ne concernent que des « niaiseries », opine Frédéric Mérand.

Alors que les « pro » et les « anti » s'organisent, les arguments des deux camps s'articulent en gros autour des éléments suivants : peur de l'immigration et de la perte de souveraineté nationale du côté des pro-Brexit ; crainte des retombées économiques et d'une perte d'influence internationale du côté des pro-UE.

« Face à un monde de plus en plus globalisé, il y a des gens qui réagissent en prônant l'isolement et le repli sur soi, résume Tessa Szyszkowitz. Notre espoir est que l'option européenne gagne, pour qu'on puisse changer les choses ensemble. »