La loi votée cette semaine par l'Assemblée nationale française et qui pénalise les clients des prostituées, c'est un peu, beaucoup la victoire de Rosen Hicher.

Cette ancienne prostituée incarne depuis plusieurs années la bataille pour le renversement du fardeau de culpabilité de celles qui vendent leurs services sexuels vers ceux qui les achètent.

Elle-même a pratiqué le métier pendant 22 ans. Au début, en revendiquant haut et fort le droit d'user de son corps selon sa bonne volonté. Elle a même écrit un livre à ce sujet. Aujourd'hui, ce livre lui fait un peu honte...

Car Rosen Hicher a fini par comprendre que cette liberté était à la fois un piège et une illusion. Un jour, cette Bretonne au visage fatigué s'est carrément effondrée. « J'étais au bout du rouleau, je voyais trouble, j'avais toujours mal à la gorge, aux oreilles, à l'estomac », m'a-t-elle raconté quand je l'ai rencontrée il y a trois ans, à Paris.

Son corps s'était révolté contre les agressions qu'elle lui faisait subir de client en client, sans se rendre compte de leurs effets dévastateurs. Et Rosen Hicher est convaincue que si elle avait continué, elle en serait morte. Car avec le temps, la prostitution finit inévitablement par anéantir, psychologiquement et physiquement.

Associée à une ONG de lutte contre la prostitution, le Mouvement du Nid, Rosen Hicher est devenue le symbole de ce combat. Mais plus encore, l'illustration de l'effet pernicieux que le commerce du sexe produit sur celles qui le pratiquent. Parfois, en se faisant croire qu'il s'agit d'un travail comme un autre.

Contrairement à ce qu'elles s'imaginent, la prostitution n'est jamais un acte de liberté. Et c'est toujours, au contraire, un acte autodestructeur dont on prend la pleine mesure beaucoup plus tard, plaide Rosen Hicher.

En infligeant des amendes salées aux clients, plutôt que de faire peser la menace policière sur les prostituées, la France rejoint des pays comme la Suède, l'Islande et la Norvège, qui ont eux aussi décidé de pénaliser celui qui achète les services sexuels au lieu de celle qui les vend.

(Le Canada, lui, cible également les clients, tout en continuant à pénaliser l'offre de services sexuels dans certaines circonstances.)

La prostitution n'est pas disparue comme par enchantement dans ces pays. La pénalisation des clients a même provoqué quelques effets pervers : ceux-ci ont tellement peur de se faire prendre qu'ils imposent aux prostituées des lieux de rencontre isolés, potentiellement plus dangereux. Les clients les plus « faciles », les « bons pères de famille », se font aussi plus rares - ce qui augmente d'autant le facteur de risque du métier.

Les mêmes contrecoups ont toutes les chances de se manifester en France. Les groupes qui représentent les prostituées craignent aussi que devant la diminution éventuelle du nombre de clients, celles-ci devront travailler davantage... pour gagner le même salaire.

C'est oublier que le but ultime de ces lois, c'est justement d'aider les prostituées à changer de vie. Plutôt que de punir les femmes qui vendent leur corps, la loi française prévoit d'ailleurs offrir à celles qui le souhaitent un « parcours de sortie de prostitution », y compris un lieu où dormir et une allocation d'un peu plus de 500 $ par mois.

Quant aux prostituées étrangères et sans papiers, nombreuses à arpenter les rues des villes françaises, elles auraient droit à un titre de séjour de six mois potentiellement renouvelable. Au lieu de risquer l'expulsion vers leur pays d'origine.

Bien sûr, ce n'est pas parfait. Mais il n'existe pas de modèle parfait pour éradiquer la prostitution et tout ce qu'elle traîne dans son sillage.

L'Allemagne a tenté la formule de la légalisation tous azimuts, en espérant que cela permettrait aux prostituées de gagner leur vie en toute légalité, de payer leurs impôts et d'échapper aux souteneurs. Résultat : un paradis du trafic humain où des prostituées roumaines ou ukrainiennes sont parquées dans des mégabordels où elles exercent leur métier dans des conditions encore plus abjectes qu'avant.

D'autres pays hésitent entre différentes formes de semi-tolérance ou de lois hypocrites ciblant la personne la plus vulnérable dans un commerce qui, par définition, se pratique à deux...

Suivant l'exemple de pays nordiques, la France a choisi de mettre fin à ce rapport déséquilibré. « La loi ne fera pas de miracle, reconnaissait déjà Rosen Hicher, il y a trois ans. Mais au moins, elle va gérer le mal à la racine... »