Un homme gît sur le sol, immobile, les bras allongés le long du corps. Autour de lui, des images saccadées d'ambulances, de secouristes et de militaires armés. Au milieu de ces scènes chaotiques, un des soldats pointe son arme vers la tête de l'homme étendu par terre. On entend le claquement sec du coup de feu. Puis, la vidéo montre la flaque de sang qui s'étend autour de son crâne.

Ces images ont été filmées jeudi dernier à Hébron, en Cisjordanie, par un photographe local qui les a envoyées à B'tselem - une ONG israélienne qui documente les violations des droits dans les territoires palestiniens occupés par Israël.

L'homme tué par le soldat israélien s'appelait Abdel Fattah al-Sharif. Il venait de participer à une attaque au couteau contre un militaire israélien dans cette ville dont le coeur historique est occupé par des colons juifs - d'où un état d'hyper tension chronique.

Diffusée par B'tselem, cette vidéo a provoqué une onde de choc en Israël, créant des fissures au sein même de la coalition au pouvoir. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou, le ministre de la Défense Moshe Ya'alon et le chef d'État-major Gadi Eisenkot ont condamné le geste du soldat, le jugeant « contraire aux valeurs de l'armée ». Le soldat a été arrêté et devra vraisemblablement faire face à la justice militaire.

Jusque-là, tout semble normal. Une violence militaire excessive entraîne une réaction musclée des pouvoirs publics et de la justice. Sauf que nous sommes en Israël, où les esprits sont chauffés à blanc par une nouvelle vague de violence et où une portion de plus en plus grande de l'opinion publique ne voit rien de mal à l'idée d'exécuter un homme blessé, couché immobile sur le sol...

C'est ainsi que le ministre de l'Éducation israélien, Naftali Bennett, d'un parti procolonisation, a défendu le soldat et vilipendé le premier ministre Nétanyahou pour l'avoir condamné sans autre forme de procès.

C'est ainsi, également, que l'ancien ministre Avigdor Lieberman, aujourd'hui dans l'opposition, a manifesté publiquement son soutien au soldat. Tandis que Nava Boker, une députée du Likoud, le parti de Benyamin Nétanyahou, a affirmé que son « coeur saigne » pour le soldat qui n'a « assassiné personne et n'a fait qu'éliminer un terroriste... »

Elle n'est pas la seule à penser que le Palestinien qui a poignardé un soldat méritait de mourir. Selon un sondage publié deux jours après les faits, 57 % des Israéliens croient qu'il n'aurait pas dû faire face à la justice, 42 % pensent qu'il a agi de manière responsable et seulement 5 % jugent que son geste équivaut à un meurtre.

PHOTO JACK GUEZ, AFP

Des dizaines de personnes ont manifesté leur soutien au soldat israélien accusé d'avoir achevé un assaillant palestinien blessé, lors de sa comparution hier devant une cour militaire. 

Lundi et hier, des dizaines de personnes ont manifesté en soutien au soldat qu'ils ont qualifié de héros et dont elles réclament la libération. Tandis que des réservistes de l'armée israélienne ont menacé de refuser de porter l'uniforme si le soldat devait être condamné.

L'ampleur de cette réaction a pris la classe politique israélienne par surprise. Il faut dire que l'incident survient après six mois de révolte palestinienne qui a été décrite comme une « intifada des couteaux » qui se caractérise par des agressions, généralement à l'arme blanche, contre soldats ou civils israéliens.

Dans la vaste majorité des cas, les auteurs de ces attaques sont tués sur-le-champ. Depuis octobre, 190 Palestiniens et 28 Israéliens ont péri dans cette nouvelle confrontation israélo-palestinienne.

Dès le début de ce soulèvement de basse intensité, Amnistie Internationale a mis en garde les autorités israéliennes contre le recours excessif à la force. Dans la foulée des évènements de Hébron, l'ONU a de son côté dénoncé ce qu'elle a qualifié d'exécution extrajudiciaire, « horrible, immorale et inique ».

« La loi est claire, écrit pour sa part B'tselem, l'organisme qui a fait circuler la choquante vidéo : tirer pour tuer n'est permis que lorsqu'une personne met des vies en danger. »

Pour B'tselem, les évènements de jeudi dernier ne sont pas tombés du ciel. Ils sont la « conséquence directe de déclarations virulentes des ministres et responsables israéliens, dans une atmosphère générale de déshumanisation ».

Une atmosphère qui conduit, hélas, de plus en plus d'Israéliens à conclure que tirer dans la tête d'un homme qui ne menace plus personne n'est pas un meurtre, mais un geste de légitime « élimination ».