Les attentats du 13 novembre, à Paris, et plus encore le massacre de mardi, à Bruxelles, ont attiré l'attention sur la force du phénomène djihadiste en Belgique.

Ce petit pays de 11 millions d'habitants compte presque autant de combattants en Syrie et en Irak que la France, dont la population est pourtant six fois plus importante !

Pour expliquer le poids disproportionné des réseaux djihadistes en Belgique, beaucoup citent l'échec du modèle d'intégration belge. Ou alors, pour employer un mot à la mode, son « communautarisme » - ce qui sous-entend une trop grande tolérance aux demandes d'accommodement des communautés ethniques et religieuses.

La Belgique a-t-elle vraiment adopté ce modèle communautariste qu'on lui reproche aujourd'hui ? J'ai posé la question à Patrick Charlier, directeur du Centre belge pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Sa première réponse : non. Car en réalité, le modèle belge en matière d'intégration n'existe tout simplement pas ! Il y a plusieurs modèles qui se superposent ou cohabitent dans une certaine confusion.

De façon globale, la Flandre a opté pour l'approche anglo-saxonne de reconnaissance des minorités et celle-ci sert de fondement à une série de politiques publiques, explique Patrick Charlier. C'est ainsi que des écoles accueillant un nombre important d'élèves immigrants ont droit à un budget particulier pour répondre à leurs besoins.

Les nouveaux immigrants sont par ailleurs encadrés par un « parcours d'intégration » impliquant l'apprentissage de la langue et des règles de vie collective, ainsi qu'un appui à la recherche d'emploi.

Rien de tel du côté wallon, ni dans la capitale bilingue de la Belgique où se trouve le fameux quartier de Molenbeek, ghetto maghrébin et principal terreau du djihadisme belge.

Et où règne plutôt le modèle français, qui ne tient pas compte de la présence de communautés culturelles.

Mais d'un côté comme de l'autre, la Belgique n'est pas particulièrement ouverte au principe des accommodements raisonnables, assure Patrick Charlier, qui a bien suivi le débat québécois sur le projet de « charte des valeurs », en 2013.

Ce qui ne signifie pas que la Belgique file la parfaite harmonie et échappe à toute tension à ce sujet. Bien au contraire. Depuis quelques années, la question du port des signes religieux soulève des passions.

Récemment, un tribunal a empêché le service d'embauche wallon Actiris d'interdire les signes religieux aux employés des secteurs privé et public. Une décision qui a plongé le pays dans un débat sur l'opportunité d'inclure le principe de laïcité dans la Constitution - ce qui, espèrent certains, permettrait de revenir à la charge contre les signes religieux. La question n'est toujours pas réglée.

En attendant, la gestion de la diversité se fait au gré des villes et des mouvements de balancier politiques. Un exemple : la ville de Gand avait interdit les signes religieux sous une administration de droite pour les autoriser à nouveau sous une administration de gauche...

Bref, il y a des discussions qui font écho aux débats que nous avons bien connus, au Québec, au fil des ans.

Mais si le mouvement djihadiste est aussi présent en Belgique, ce n'est pas parce que les femmes peuvent ou ne peuvent pas porter le hidjab dans le cadre de leurs fonctions publiques. Le vrai problème, c'est l'existence d'enclaves urbaines où l'État est impuissant à intervenir. Pour des raisons souvent... bureaucratiques.

Comme l'explique Patrick Charlier, les politiques d'intervention dans ces quartiers sont incohérentes parce qu'elles mettent en jeu trop d'acteurs dont les actions se superposent, et parfois se contredisent.

Prenez Molenbeek, où sont nés ou ont vécu plusieurs des auteurs des derniers attentats. Les maisons de jeunes et les écoles y sont administrées par les autorités wallonnes. Le logement relève de la région de Bruxelles. La police est en partie fédérale, en partie locale. Ces « couches de lasagne » aboutissent à un fouillis d'incohérences.

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Le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, ouvre une autre fenêtre sur le phénomène du radicalisme belge.

Il fait remonter les origines de la radicalisation extrême à l'année 2009, alors que des prédicateurs se sont lancés à l'assaut de Molenbeek sous la bannière Sharia4Belgium (la charia pour la Belgique).

Ce sont eux qui ont recruté les premiers candidats au djihad qui ont été plus tard dépêchés en Irak et en Syrie, non pas pour combattre, mais comme recruteurs pour d'autres djihadistes. Ces « défricheurs » étaient installés dans des maisons luxueuses, et attiraient des copains avec des images de piscines et de vie de pacha. Chacun devait recruter au moins cinq nouveaux combattants potentiels, explique Gilles de Kerchove dans une longue entrevue radiophonique.

« C'était très attrayant pour ces garçons qui souffraient d'un sentiment d'enfermement et de ségrégation dans leur quartier, et qui s'imaginaient accéder à une vie de rêve. »

- Patrick Charlier, directeur du Centre belge pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme

En puisant dans les réseaux de leurs bandes de jeunesse, ces gars de Molenbeek, souvent de petits délinquants, ont ainsi créé les premières brigades de djihadistes belges.

Depuis, Sharia4Belgium, qui prônait notamment l'assassinat d'homosexuels, a été poursuivie, ses dirigeants ont été condamnés pour incitation à la haine. Le mouvement a été dissout en 2012. Mais le mal était fait...

Oui, c'est vrai, les pouvoirs publics belges ont une part de responsabilité dans tout ce processus de radicalisation.

Mais leurs principales fautes relèvent plutôt de politiques urbaines inadéquates, qui ont laissé se développer un ghetto ethnique au coeur de la capitale belge ; d'une bureaucratie démente et impuissante devant des techniques de recrutement d'une redoutable efficacité ; sans doute aussi d'un laxisme sécuritaire.

Mais pas de l'échec d'un modèle qui, en passant, n'existe pas vraiment...