À compter de demain, tous les migrants qui tenteront d'atteindre la Grèce par la mer Égée seront renvoyés vers la Turquie.

Voilà comment le premier ministre slovaque Bohuslav Sobotka a résumé sur son compte Twitter l'entente conclue, vendredi, entre Ankara et les 28 pays de l'Union européenne. Les médias qui ont suivi de près ces négociations ont également mis de l'avant ce point spectaculaire de l'accord que l'on décrit comme historique.

Sauf que les points suivants de l'entente rendent cette pratique de renvoi systématique... pratiquement impossible. Il faut dire qu'au cours de la dernière semaine, les services juridiques de l'UE ont planché fort sur les modalités qui permettraient à l'entente, dont une version préalable contrevenait de façon flagrante au droit international humanitaire, d'entrer dans le cadre de ces lois.

Comment renvoyer les migrants sans violer les lois internationales qui les protègent ? Pour y arriver, les négociateurs ont accouché de la formule suivante. Tous les « nouveaux migrants irréguliers » seront renvoyés en Turquie, mais toute demande d'asile sera examinée individuellement sur le territoire grec. Et seuls ceux qui ne déposeront pas de demande d'asile ou dont la demande sera jugée infondée ou irrecevable reprendront la mer vers la côte turque.

Depuis le début de 2015, plus de 1 million de migrants sont passés par les îles grecques dans l'espoir de rejoindre un pays du nord de l'Europe. On estime que 90 % d'entre eux fuyaient un pays en guerre : la vaste majorité la Syrie, mais aussi l'Irak ou l'Afghanistan.

Maintenant, mettez-vous à la place d'une famille syrienne de Homs ou d'Alep qui vient de traverser la mer Égée pour mettre pied à Lesbos ou dans l'île de Kos. Refusera-t-elle de faire sa demande d'asile en Grèce, au risque de se faire renvoyer manu militari en Turquie ? J'en doute. Dès lors, sa demande devra être examinée... en Grèce.

Ou bien elle sera immédiatement rejetée - au risque de mettre en péril le droit à la protection et à l'asile. Ou bien c'est une infime minorité de migrants qui reprendront le chemin inverse, vers la Turquie.

En lisant les principaux points de l'accord turco-européen, vendredi, j'avais l'impression que les négociateurs avaient désespérément tenté de résoudre la quadrature du cercle. Car expulser massivement les migrants sans enfreindre leurs droits relève carrément d'une mission impossible.

Un autre point de ce bricolage international met un grand bémol sur cet effort collectif visant à tarir le flot humain en route vers l'Europe. Théoriquement, l'accord prévoit que pour chaque migrant « irrégulier » renvoyé en Turquie, un réfugié en bonne et due forme sera sélectionné en territoire turc pour s'établir en Europe. Mais cette politique du « un pour un » est soumise à un plafond : au-delà de 72 000 réfugiés, le ticket pour l'Europe ne sera plus valide...

Quand on sait que plus de 140 000 migrants ont atteint la Grèce seulement depuis le début de 2016 et que près de trois millions d'entre eux vivent dans des conditions précaires en Turquie, on voit bien que ce volet de l'accord risque de devenir rapidement caduc.

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Débordée par l'afflux de migrants fuyant des pays à feu et à sang, l'UE espère rendre la traversée de la mer Égée moins attrayante et offrir en contrepartie une voie légale et contrôlée vers l'asile européen. Mais pour que ce pari tienne, trois conditions doivent être respectées.

D'abord, les autorités grecques devront traiter rapidement des milliers de demandes d'asile - ce qui exige une logistique que le président exécutif européen Jean-Claude Juncker a décrite comme « herculéenne. »

Ensuite, il faudra être sûr que la Turquie traite correctement les migrants et les demandeurs d'asile. C'est loin d'être acquis : ce pays n'adhère que partiellement à la Convention de Genève qui régit le droit d'asile.

Et enfin, il faudra que l'Europe ouvre plus généreusement ses portes aux réfugiés - qui, sinon, risquent de se retrouver coincés dans des conditions pénibles en Grèce ou en Turquie. Compte tenu du volume des déplacements humains actuels, le plafond de 72 000 réfugiés qui pourront se prévaloir d'un asile européen paraît ridiculement bas.

« Arrêter ce flot humain relève d'un fantasme », tranche le juriste québécois François Crépeau, rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme des migrants.

Ce dernier dit comprendre les motivations des dirigeants européens qui veulent alléger la pression à leurs frontières, pour des raisons électorales. Mais ils se trompent, selon lui, s'ils pensent qu'ils réussiront à ralentir les mouvements des réfugiés en fermant la route des Balkans.

« Ils risquent plutôt de les détourner vers d'autres routes, comme celle de la Méditerranée », prévient-il.

Et justement. Plus de 2400 migrants ont été secourus au large de la Libye depuis mardi, sur la route ultra dangereuse menant vers l'île italienne de Lampedusa ou encore vers la Sicile...

Finalement, l'accord turco-européen permet d'apaiser, voire de ralentir temporairement la crise des migrants. Mais le problème de fond des millions de personnes cherchant un refuge après avoir fui un pays en guerre ne se résoudra que si l'Europe accepte de répartir les réfugiés sur l'ensemble de son territoire. Ou si ces guerres s'arrêtent et que ceux qui les ont fuies peuvent rentrer chez eux, dans un pays en paix.