Vous vous rappelez les photos insoutenables des affamés de Madaya, cette ville syrienne assiégée pendant plus de six mois par l'armée de Bachar al-Assad où l'aide humanitaire ne parvient qu'au compte-gouttes - quand elle s'y rend ?

Une enclave semblable existe au Yémen. Plus précisément à Taïz, ville de montagne où vivent un million d'habitants, dont le quart se retrouvent isolés du mauvais côté de la ligne de front. Depuis la fin de l'été, ils sont pratiquement coupés de toute aide médicale et alimentaire.

Selon l'infirmière québécoise Céline Langlois, qui vient de passer cinq mois au Yémen comme coordonnatrice médicale pour Médecins sans frontières, la faim guette ces 250 000 civils coincés dans une guerre qui, en neuf mois, a déjà fait plus de 5000 morts.

Les habitants de Taïz ont réduit le nombre de leurs repas quotidiens de trois à deux, ou même un seul, raconte Céline Langlois. Quand l'un d'entre eux tombe malade, ses proches sont obligés de le transporter à pied, à travers les hauts plateaux, vers des centres de soins qui s'avèrent la plupart du temps inaccessibles. Incapables de franchir les contrôles routiers, les habitants de Taïz en sont réduits à transporter leurs sacs de riz sur leur dos, à travers les montagnes.

« Il y a une grande souffrance à Taïz, mais personne n'en parle », déplore Céline Langlois, que j'ai jointe hier à Montréal.

C'est à Taïz qu'elle a eu, littéralement, son baptême du feu, alors qu'elle se rendait visiter un des hôpitaux soutenus par MSF, en août dernier. Forcés de franchir la ligne de front, Céline Langlois et ses collègues se sont retrouvés au milieu d'une intense fusillade.

Alors qu'ils se réfugient derrière un réservoir d'eau, cette infirmière habituée aux zones à risque se dit que cette fois, ils n'y échapperont pas. « J'étais convaincue qu'au moins l'un d'entre nous serait touché. »

Mais c'était compter sans la générosité d'une famille yéménite qui leur a ouvert les portes de sa maison.

C'est également à Taïz qu'une clinique mobile de MSF a été récemment ciblée par les bombes de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, qui combat les rebelles houthis au Yémen.

Deux autres hôpitaux et une ambulance de MSF ont été lourdement endommagés par d'autres raids aériens au cours des trois derniers mois. « Pourtant, souligne Céline Langlois, nous avons toujours fourni nos données GPS à la coalition. »

De plus en plus, et pas seulement au Yémen, les installations médicales de MSF, mais aussi les hôpitaux en général, sont visés par les bombes.

En décembre, un hôpital de MSF a été victime d'un raid aérien à Kunduz, en Afghanistan, dans lequel plus de 40 personnes ont perdu la vie. Aucune de ces attaques n'a donné lieu à des explications ou à une enquête.

Depuis le début de la guerre au Yémen, ce pays a déjà perdu plus d'une centaine d'hôpitaux et de cliniques. Avant la guerre, Taïz comptait 20 hôpitaux. Il n'en reste plus que quatre, signale Céline Langlois. Ils ne peuvent plus répondre qu'aux premières urgences.

Le blocus imposé par l'Arabie saoudite coupe les canaux d'approvisionnement pétroliers et alimentaires vers le Yémen. Les civils ont toute la peine du monde à se déplacer. Et les hôpitaux encore fonctionnels manquent de tout. Y compris de personnel médical, qui finit par quitter ces institutions menacées et privées de moyens.

Résultat : des maladies chroniques comme le diabète ou les problèmes rénaux ne sont plus traitées. Les enfants ne reçoivent plus aucun vaccin. Et des gens meurent des conséquences indirectes de ce conflit, éclipsé par d'autres guerres, encore plus meurtrières.

Céline Langlois ne comprend pas pourquoi ce conflit passe à ce point sous le radar. « Peut-être parce que pour beaucoup de gens, le Yémen évoque Al-Qaïda ? », avance-t-elle. Quand elle pense au Yémen, Céline Langlois, elle, songe plutôt à tous ces civils en détresse.

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Le gouvernement Trudeau vient d'assouplir sa position sur son contrat de vente de blindés à l'Arabie saoudite. Jusqu'à tout récemment, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion refusait de remettre en question ce contrat de 15 milliards, peu importe le bilan désastreux de Riyad en matière des droits de la personne.

La semaine dernière, le discours a changé. Ottawa se dit désormais ouvert à « suspendre ou à l'annuler » si jamais Riyad devait contrevenir aux règles qui limitent, du moins en théorie, nos exportations militaires à des pays. Et qui nous obligent à nous assurer que ces armes ne seront pas utilisées contre des civils. Le ministre Dion promet aussi de revoir les mécanismes d'évaluation des pays auxquels le Canada souhaite vendre de l'équipement militaire.

Un pays qui bombarde systématiquement des hôpitaux et des écoles chez son voisin, comme le fait depuis neuf mois l'Arabie saoudite, passera-t-il l'examen ? C'est à suivre... Si jamais le Canada devait revenir sur ce contrat, il ne serait pas le seul. L'Allemagne et la Suède ont récemment cessé toute livraison d'armes à Riyad.