Le petit Aylan, vous vous rappelez ? Ce gamin en t-shirt rouge dont le corps a été recraché par la mer sur une plage turque, au début de septembre, soulevant une onde d'indignation internationale ?

Depuis sa noyade, il y a bientôt deux mois, des dizaines d'enfants, de femmes et d'hommes fuyant la guerre ont connu le même sort. Leurs photos n'ont pas fait la une. Leur sort tragique a été à peine effleuré dans les médias. Impact sur l'opinion internationale : zéro.

Des exemples ? Le 17 octobre, trois enfants et un adulte ont péri quand leur embarcation a chaviré, au large de la Grèce, et 12 autres réfugiés, dont trois bambins, se sont noyés dans un naufrage survenu, lui, dans les eaux turques.

Le 15 octobre, une femme, deux fillettes et un nourrisson sont morts dans une collision avec un bateau de patrouille grec. Le 30 septembre, une femme et un enfant ont été engloutis par la mer au large de l'île de Lesbos. Le 25 septembre, sept réfugiés ont péri près de l'île de Kos. Et ça continue...

Les bénévoles qui viennent en aide aux survivants racontent des histoires poignantes. Beaucoup souffrent d'hypothermie grave. Une femme enceinte a accouché en débarquant du bateau. Un Syrien ayant perdu une jambe pendant la guerre civile est resté seul sur la plage, incapable de poursuivre sa route...

« Aucune ambulance n'est là pour leur venir en aide, il n'y a que des bénévoles », témoigne Peter Buckaert, responsable des situations d'urgence pour Human Rights Watch, dans une entrevue à CNN.

Selon lui, plus de 90 % de ces voyageurs sont des Syriens, des Afghans et des Irakiens fuyant des guerres brutales, qui devraient avoir droit à l'asile politique. À l'approche de l'hiver, alors que les conditions climatiques se détériorent, leur nombre ne cesse d'augmenter. Ils se dépêchent de se lancer à la mer avant que les portes de l'Europe ne se ferment définitivement devant eux...

Selon le Haut Commissariat pour les réfugiés, 8000 nouveaux demandeurs d'asile touchent chaque jour les côtes de la Grèce, pays complètement dépassé par ce flot ininterrompu de désespérés.

Au moment où vous lisez ces lignes, un millier d'entre eux attendent de se faire enregistrer à Moria, sur l'île de Lesbos, sans avoir accès à un abri même minimaliste, signale Médecins sans frontières.

Il y a, dans ce groupe, des femmes et des enfants détrempés qui attendent debout dans le froid. « C'est complètement inhumain », dénonce le responsable de MSF sur place, Yves Wailly.

Depuis la mort du petit Aylan, donc, la crise des migrants s'est aggravée, les naufrages sont presque quotidiens, les structures d'accueil craquent. Hélas, ces informations se noient, elles aussi, dans une suite de tragédies banalisées.

Que peut-on faire, devant ce drame qui ne s'arrête pas ? La moindre des choses serait de rappeler à ceux qui formeront le prochain gouvernement, à Ottawa, leur promesse d'accueillir rapidement 25 000 de ces réfugiés... Et ne pas laisser cet engagement grossir le cimetière des promesses électorales trahies.

***

De la Turquie à l'Allemagne, en passant par la Serbie, la Croatie et la Hongrie, la crise des réfugiés a fait surgir de grands élans de solidarité et mis en lumière ce que les êtres humains ont de meilleur. Elle a aussi, hélas, permis d'illustrer les aspects les plus abjects de la nature humaine.

Des bateaux de patrouilleurs masqués, souvent armés, sillonnent la mer Égée à la recherche de zodiacs transportant des réfugiés, signale Human Rights Watch dans un rapport publié jeudi. Le document recense huit incidents où ces milices maritimes ont attaqué des migrants, essayé de crever la coque gonflable de leur bateau, d'arracher ou de saboter leurs moteurs.

Des incidents ? Non, des tentatives de meurtre...

Ces agresseurs ne s'identifient évidemment pas, mais les témoignages laissent penser qu'il pourrait s'agir de fascistes grecs qui carburent à la haine des étrangers.

En Allemagne, le boomerang de la politique de la porte ouverte est en train de frapper la chancelière Angela Merkel, dont la popularité décline, alors que l'extrême droite se fait plus bruyante. 

À preuve, l'attaque récente contre une candidate à la mairie de Cologne, Henriette Reker, connue pour son action auprès des réfugiés. Un homme l'a poignardée au cou alors qu'elle faisait campagne dans un marché public.

Ces deux exemples montrent comment la crise des réfugiés ne se joue pas uniquement dans les mers du sud de l'Europe. Elle a un impact délétère et pernicieux sur les pays de transit ou de destination.

***

Simon Bryant a passé les cinq derniers mois à sillonner la Méditerranée à bord du Phoenix, bateau exploité conjointement par Médecins sans frontière et la MOAS, organisation de secours aux migrants en mer.

Ce médecin de l'Alberta a contribué au sauvetage de 6985 migrants partis de la côte de la Libye pour atteindre l'Italie. Pendant que les yeux de l'Europe sont tournés vers la mer Égée, par où transitent la plupart des demandeurs d'asile, la route méditerranéenne n'est pas abandonnée pour autant. Phénomène qui passe désormais sous le radar de l'actualité.

Simon Bryant a vu des passagers morts d'une intoxication au monoxyde de carbone, dans des cales glauques. Il a secouru des voyageurs brûlés par l'essence, souffrant d'hypothermie, de mal de mer et, surtout, de graves traumatismes psychologiques.

Ce qu'il va garder de cette mission ?

« Que le monde est beaucoup plus interconnecté que je ne le pensais, que nos actions, à nous, Occidentaux, ont un impact à l'autre bout du monde. »

Mais, surtout, que si on veut éviter ces traversées abominables, il faut leur ouvrir des voies légales vers l'asile qui, dans la majorité des cas, est pleinement mérité.

Ça permettrait aux demandeurs d'asile de prendre l'avion plutôt que le bateau. Aussi simple que cela.