Fondée il y a plus de 40 ans, l'organisation Médecins sans frontières (MSF) a l'habitude d'assurer des soins dans les zones les plus périlleuses de la planète.

Au printemps 2011, alors que la guerre civile faisait rage en Libye, elle a été l'une des rarissimes ONG humanitaires à ne pas fuir la ville côtière de Misrata, assiégée pendant trois mois par les troupes de l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi.

Au cours des dernières années, MSF a été la cible d'attaques, de bombardements et d'enlèvements en République démocratique du Congo, en Somalie, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, sans oublier la Syrie, où 13 de ses employés se sont fait enlever en janvier 2014.

En d'autres mots, cette organisation médicale a vu tomber bien des balles et des bombes. Pourtant, ce qui s'est passé dans la nuit de samedi à dimanche, dans la ville afghane de Kunduz, est sans précédent dans son histoire.

De 2h08 à 3h15, cette nuit-là, cet hôpital chirurgical a essuyé une série de frappes qui ont détruit sa salle d'opération, sa salle postopératoire et son unité de soins intensifs. Les survivants ont décrit depuis des scènes d'horreur, des histoires de patients brûlés vifs, un cauchemar de feu et de sang.

Le raid a été mené par des bombardiers de l'armée américaine, majoritaire au sein de la force internationale toujours présente en Afghanistan.

Bilan: au moins 22 morts, soit 12 membres du personnel médical et 10 patients. Et pas loin d'une quarantaine de blessés. C'est la plus grosse perte de vies que MSF ait subie lors d'une seule attaque dans toute son histoire.

Mais le caractère exceptionnel de ce bombardement ne tient pas uniquement au nombre de victimes, souligne Stephen Cornish, directeur général de la section canadienne de MSF.

À la différence de la Syrie, où le régime de Bachar al-Assad cible systématiquement les hôpitaux et refuse de garantir la protection des installations médicales humanitaires, l'hôpital de Kunduz bénéficiait de l'accord de toutes les parties en conflit: le gouvernement afghan, l'OTAN et les talibans.

Et c'est l'une de ces parties qui a systématiquement visé un bâtiment dont elle connaissait pourtant tant la vocation que l'emplacement.

Après la première frappe, MSF a d'ailleurs contacté l'OTAN pour lui redonner les coordonnées GPS de l'hôpital. Déclenchées sans avertissement, ce qui est contraire au droit humanitaire protégeant les civils en cas de conflit, les frappes se sont pourtant poursuivies pendant plus d'une heure. Avec le résultat que l'on sait.

Comment en est-on arrivé là?

Pour expliquer cette attaque, le Pentagone et l'OTAN ont donné une série d'explications contradictoires. Dans un premier temps, on a fait valoir que l'hôpital servait de base aux talibans qui tentaient de prendre le contrôle de cette ville du nord de l'Afghanistan. Faux, a répliqué MSF. L'hôpital ne se trouvait pas non plus au coeur d'une bataille. Au contraire, tout était calme et silencieux dans l'enceinte du bâtiment avant la chute de la première bombe, assure l'organisation. La thèse des dommages collatéraux ne tient donc pas la route, elle non plus.

Ces deux hypothèses ayant été écartées, il restait à mettre la faute sur Kaboul, qui aurait appelé la coalition internationale à l'aide, en prétextant une offensive des rebelles. C'est ce qu'a soutenu le chef de la mission de l'OTAN, John Campbell, tout en assumant finalement l'entière responsabilité de l'opération.

Cette explication n'explique rien et ne permet pas de comprendre la séquence des évènements qui ont conduit à ce carnage. Qui a donné l'ordre de bombarder? Dans quel but? Pourquoi le raid s'est-il poursuivi aussi longtemps?

L'OTAN, le Pentagone et le gouvernement afghan ont promis de faire la lumière sur cette terrible nuit en tenant des enquêtes militaires internes. Avec raison, MSF s'en méfie. Et réclame plutôt de faire appel à une instance indépendante: la Commission internationale humanitaire. Prévu par un protocole additionnel aux conventions internationales qui régissent le droit de la guerre, ce dispositif n'a encore jamais servi. Il serait de toute évidence beaucoup plus crédible qu'une série d'enquêtes où chacun essaierait de se couvrir autant que possible.

Il aurait aussi plus de chances de répondre aux questions de fond soulevées par ce terrible dérapage, qui laisse des dizaines de milliers d'Afghans privés de tout service de chirurgie.

Et qui met en lumière la grande fragilité des protections établies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour protéger les civils en cas de conflit militaire.

Après un trop long silence, le président Obama a fini par offrir ses condoléances et ses excuses à MSF. Mais les excuses ne suffisent pas. Il faut aussi tout mettre en oeuvre pour comprendre ce qui s'est passé.