En un an, les États-Unis et leurs alliés ont mené plus de 6000 frappes contre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie. Les résultats de cette offensive militaire sont plus que mitigés.

En Syrie, elle a permis de chasser l'EI de la ville kurde de Kobané, mais ne l'a pas empêché de prendre Palmyre. En Irak, elle a permis de reprendre le contrôle de la ville de Tikrit, mais n'a pas prévenu la chute de Ramadi.

L'EI contrôle aujourd'hui pas moins de la moitié du territoire syrien. Globalement, en 12 mois de frappes, « le pouvoir des groupes djihadistes salafistes s'est accru en Syrie », constate Peter Harling, de l'International Crisis Group, dans une entrevue publiée par Mediapart.

Parallèlement, l'armée de Bachar al-Assad n'a pas cessé de perdre des plumes : selon des experts militaires, elle est aujourd'hui réduite à la moitié de ses effectifs. Et des centaines de jeunes hommes fuient chaque jour la conscription en prenant la route de l'exil.

C'est d'abord et avant tout pour soutenir son allié fragilisé que Vladimir Poutine a lancé cette semaine ses propres frappes en Syrie. Théoriquement contre l'EI. Mais en réalité contre les positions d'autres brigades djihadistes, et, aussi, contre des brigades de l'Armée syrienne libre - militairement soutenue par Washington.

« Le président Poutine veut assurer la survie du régime de Bachar al-Assad, c'est son objectif minimal », note Jacques Lévesque, spécialiste de la Russie et professeur émérite à l'UQAM.

Objectif minimal - mais pas le seul.

L'entrée en scène spectaculaire de la Russie en Syrie, mariant initiative diplomatique et bombardements, marque aussi le retour de Vladimir Poutine dans la cour des grands.

Il y a moins d'un an, le président russe faisait figure de paria international, ostracisé pour avoir annexé la Crimée et tiré les ficelles du conflit dans l'est de l'Ukraine. On l'a vu quitter honteusement le dernier sommet du G20. Ou commémorer tout seul, sans grands invités internationaux, le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Son intervention dans la guerre civile syrienne lui permet de sortir de l'isolement en s'imposant comme un acteur incontournable au Proche-Orient. Peu importe ce qui arrivera par la suite, il a, dans l'immédiat, déjà remporté une importante victoire.

« L'intervention audacieuse de la Russie en Syrie n'a pas seulement causé un choc à Washington, elle pourrait aussi carrément changer la donne au Proche-Orient », écrit le politologue Vali Nasr, de l'Université Johns Hopkins à Washington.

En sautant dans l'arène syrienne, la Russie veut se poser comme la « puissance stabilisatrice », celle qui amènera l'ordre après le chaos, fait valoir un autre analyste, Dmitry Adamsky, dans Foreign Policy.

Aider Assad, donc, tout en jouant les sauveurs du monde - mais aussi en infligeant un camouflet à un Occident que le président russe rend responsable du désordre actuel, ainsi qu'il l'a suggéré dans son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU, où il apparaissait pour la première fois depuis huit ans.

Les experts s'entendent pour dire que le président Poutine voudra monnayer sa puissance restaurée. Notamment en voulant arracher quelques compromis sur la question ukrainienne, peut-être même une levée des sanctions internationales qui visent son régime.

En d'autres termes, Vladimir Poutine joue un grand jeu qui dépasse de loin les frontières de la Syrie. « Il veut apparaître comme celui qui saura trouver la solution à la guerre civile syrienne », observe Jacques Lévesque. Il suffirait que les forces russes marquent un coup fumant, comme la reprise de la ville de Palmyre, pour que Poutine gagne son pari.

Mais à quel prix ? Car le jeu que vient de déclencher le président russe est aussi ultra périlleux. Il risque de renforcer l'idée d'un complot international antisunnite, et donc d'offrir une nouvelle base de recrutement à l'EI. Il y a aussi un risque d'enlisement, comme celui que Moscou a connu en Afghanistan. Et enfin, il y a maintenant aussi un risque d'accidents militaires entre l'armée russe et la coalition anti-EI en général, et les États-Unis en particulier.

En d'autres mots, Vladimir Poutine déploie son grand jeu sur un baril de poudre.