Après avoir fui La Mecque, où sa vie était menacée, Mahomet s'est réfugié à Médine, ville qui était alors habitée en majorité par des tribus juives.

En signe de reconnaissance pour leur hospitalité, Mahomet a emprunté plusieurs rituels du judaïsme pour les inclure dans sa religion toute neuve. La circoncision, les règles alimentaires, le jeûne annuel, même l'orientation du corps pendant la prière, ont tous été calqués sur les pratiques des juifs.

Ces derniers ont vécu en harmonie avec leurs nouveaux voisins musulmans pendant... deux bonnes années, jusqu'à ce que le prophète vienne à bout de ses ennemis de La Mecque. La bulle de paix judéomusulmane éclate dans le feu de la bataille. Pour marquer la discorde, Mahomet adapte les coutumes juives à la sauce de l'islam. L'alimentation casher devient halal, le Yom Kippour devient le ramadan, la prière se fait dorénavant en direction de La Mecque, et non de Jérusalem. Seule la circoncision ne change pas...

L'anecdote est tirée du dernier opuscule de Marek Halter, auteur prolifique et fin connaisseur des trois grandes religions monothéistes, qu'il a romancées successivement en racontant la vie de leurs plus illustres personnages - d'Abraham à Aïcha, en passant par Marie.

Réconciliez-vous, enjoint le titre de son plus récent livre, dont il a fait la promotion, ce printemps, au Québec, conjointement avec celle de Fatima, deuxième volet de sa trilogie sur les femmes de l'islam.

S'il y cite l'histoire du bref exil de Mahomet à Médine, c'est pour mettre en lumière les sources communes aux croyances des juifs et aux musulmans. Leur proximité culturelle, enterrée sous des années de conflits.

Réconciliez-vous est un tout petit livre, une soixantaine de pages à peine, qui alterne références historiques, anecdotes personnelles et appels à la tolérance. Il a été écrit, sur un ton qui tient parfois du prêche, entre la dernière guerre de Gaza et les attentats contre Charlie Hebdo - triste époque, dégoulinant de haines exacerbées.

Marek Halter a été profondément choqué par les manifestations propalestiniennes de l'été 2014, en France. « Pour la première fois de ma vie, j'ai entendu des gens crier "Mort aux Juifs", et ça m'a bouleversé », confie ce survivant de l'Holocauste, que j'ai rencontré lors de son passage à Montréal, fin mai.

Il a pris un coup de vieux depuis notre dernière rencontre, il y a 13 ans, alors qu'il était venu présenter son livre sur la mythique tribu juive des Khazars. Il a surtout perdu bien des illusions.

Au début des années 2000, ce pacifiste français d'origine judéopolonaise espérait encore contribuer à rafistoler les relations entre Palestiniens et Israéliens, embourbés dans un processus de paix qui n'avançait pas.

À l'époque, le conflit était incarné par deux monstres sacrés : Yasser Arafat et Ariel Sharon. Marek Halter les connaissait bien tous les deux, et avait même brièvement fait la navette entre eux, dans l'espoir de renouer le dialogue.

Treize ans plus tard, Arafat et Sharon sont morts et enterrés, tout comme le processus de paix auquel plus personne ne croit. L'ancien premier ministre britannique Tony Blair vient d'ailleurs de démissionner de son poste de représentant du quartet pour la paix au Moyen-Orient - une coquille désormais vide de sens.

Et Marek Halter, lui, regarde le chemin parcouru pour constater que Dieu est revenu en force dans les affaires du monde.

« Je viens d'une génération qui a cru pouvoir arrêter les guerres, je crois toujours qu'on peut sauver l'humanité, mais les grandes religions laïques ont échoué, et aujourd'hui, on revient vers Dieu », dit avec regret cet homme qui peut citer autant la Bible que la Torah ou le Coran. Or, écrit-il, « quand on tue au nom de Dieu on tue plus allègrement. »

Avec la montée du groupe État islamique, le coeur du litige s'est déplacé. L'EI ne s'intéresse pas au Proche-Orient, et il ne s'intéresse pas non plus tellement aux juifs, constate ce survivant de l'Holocauste. Le nouveau djihad vise d'abord et avant tout les chrétiens.

Avec, à la clé, la perspective d'une nouvelle « guerre des religions. »

« Comme à l'époque du pape Urbain II, en 1095, on entend de plus en plus d'appels à sauver les chrétiens d'Orient. »

Marek Halter, lui, préfère chercher les terrains communs plutôt que de tomber dans le piège des divisions.

Il refuse que l'islam prenne le rôle « d'ennemi mythique » pour l'Occident, il continue à défiler main dans la main avec des rabbins et des imams, et à plaider en faveur d'une confédération entre Israël, la Jordanie et la Palestine.

Et surtout, il persiste à dire que peu importe la religion, Dieu est du côté de la réconciliation. Et que ceux qui tuent en son nom détournent son message.

Il y a, chez Marek Halter, un mélange de désillusion et de naïveté. Il y a aussi l'amertume de celui qui se sent impuissant à faire changer les choses. Et qui n'aime pas trop ce que le monde est en train de devenir.

Mais au-delà de tout ça, il y a une voix profondément humaniste, comme on n'en entend plus bien souvent.