Le journaliste Mohamed Fahmy a donc été libéré sous caution, mais il reste sous le coup d'un nouveau procès et attend toujours que le premier ministre Stephen Harper se décide à intervenir personnellement en sa faveur auprès du président égyptien.

Son sort est donc plus qu'incertain. Avec un peu de chance et beaucoup de pressions politiques, son cauchemar prendra peut-être bientôt fin. Et il pourra enfin rentrer chez lui, au Canada.

Le cas échéant, on pourra pousser un immense soupir de soulagement. Mais sans oublier que le reporter d'Al-Jazeera n'est pas le seul à payer cher pour avoir voulu exercer librement son métier.

Des dizaines d'autres journalistes sont emprisonnés, jugés ou tués chaque année simplement parce qu'ils ont voulu faire leur travail: informer. Un boulot qui devient plus dangereux que jamais. Et pas seulement en Égypte.

Depuis trois ans, le nombre de reporters emprisonnés ou tués dans l'exercice de leurs fonctions a atteint des sommets inégalés, constate le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), fondé au début des années 80 pour documenter les risques du métier.

Ainsi, en 2014, au moins 61 journalistes sont morts et 221 croupissaient en prison. Deux phénomènes en hausse depuis 2012, selon le CPJ.

Toujours en 2014, 119 journalistes ont été enlevés, ce qui représente une hausse de 35% par rapport à l'année précédente, révèle un autre regroupement international de journalistes, Reporters sans frontières.

Quelques conflits impitoyables, notamment la guerre civile en Syrie, où il n'y a plus une règle de sécurité qui tienne, contribuent à ce carnage. Mais il y a plus. La nature du danger est aussi en train de changer. C'est que les journalistes ont un peu perdu leur «immunité professionnelle». Autrefois, quand ils se faisaient tuer, c'était par accident, d'une balle perdue sur quelque champ de bataille. L'an dernier, dans 44% des cas, ils ont été pris délibérément pour cibles.

Avec l'avènement et l'accessibilité des réseaux sociaux, «les gouvernements et les groupes non étatiques n'ont plus besoin des médias de masse pour diffuser leur message», signale Courtney Radsch, directrice du plaidoyer au CPJ.

En revanche, ils peuvent utiliser les journalistes capturés sur le terrain pour semer la terreur. Ou bien tenter à tout prix de les faire taire, pour les empêcher de témoigner.

«Les journalistes sont maintenant sur la ligne de feu des conflits régionaux», constate Sherif Mansour, responsable du Moyen-Orient pour cette même ONG. Il rappelle cette déclaration récente du groupe État islamique, qui considère les journalistes non comme des civils, mais comme des combattants étrangers, devant être punis pour ce que leurs gouvernements font ou disent.

Dans son dernier bilan, Reporters sans frontières signale une «mutation de la violence, avec une instrumentalisation de plus en plus grande des exactions contre les reporters.» Au menu: décapitations, mises en scène, menaces, assassinats, enlèvements.

Parallèlement, la brèche de liberté ouverte par les printemps arabes a été suivie par un verrouillage de la parole, particulièrement en Égypte où la censure s'exerce avec plus de véhémence que durant les dernières années de Hosni Moubarak, selon Sherif Mansour.

Ou alors par le chaos et l'insécurité extrême qui vient avec, comme c'est le cas en Libye et en Syrie.

Résultat: des conflits majeurs deviennent des terrains tellement périlleux que les grands médias hésitent à les couvrir, ou alors font appel à des pigistes locaux qui s'exposent à des risques énormes et dont la mort ne fait pas les manchettes planétaires. Selon Courtney Radsch, plus de 60 journalistes syriens ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions depuis le début de la guerre civile qui déchire ce pays. Un carnage resté méconnu.

Un autre chiffre à faire frémir: en une décennie, 720 journalistes ont perdu la vie simplement parce qu'ils faisaient leur boulot. La vaste majorité sont morts dans l'anonymat, sans faire la moindre vague internationale. Et dans 90% des cas, leur assassinat est resté impuni.