Soupir de soulagement. Pour la deuxième fois en deux semaines, la justice saoudienne a suspendu la séance de flagellation du blogueur Raif Badawi.

Officiellement, la décision répond à des impératifs médicaux. Mais la vague d'indignation internationale devant ce châtiment barbare n'est peut-être pas étrangère à ce sursis.

Il faut dire que la vague est puissante. Au bureau québécois d'Amnistie internationale, on ne se souvient pas d'avoir déjà assisté à un tel élan de solidarité. En quelques jours, 37 000 personnes ont signé la pétition réclamant la libération du jeune homme. Du jamais vu, selon la porte-parole Anne Sainte-Marie.

C'est sans parler des lauréats du prix Nobel qui exhortent les scientifiques saoudiens à protester auprès de leurs dirigeants. Des membres de la Commission américaine des libertés religieuses qui ont offert de recevoir 100 coups chacun, à la place de Raif Badawi. Des manifestations de protestation devant les ambassades de l'Arabie saoudite qui ont essaimé à travers le monde. Des dirigeants qui ont appelé la justice saoudienne à ranger ses bâtons.

Ce mouvement de protestation a une résonance particulière au Québec, où la femme et les trois jeunes enfants de Raif Badawi ont trouvé refuge.

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Le fondateur du site Free Saudi Liberals n'est pourtant pas le seul à subir les foudres d'un régime qui serre de plus en plus la vis à ceux qui osent le critiquer. La justice saoudienne impose des peines de plus en plus longues, pour des crimes de plus en plus variés: apostasie, propagation de l'athéisme, contacts avec des pays étrangers, déloyauté au roi, n'en jetez plus, la Cour est pleine...

Les exécutions se multiplient. On en a compté plus de 70 en 2013. Depuis le 1er janvier 2015, une douzaine de condamnés ont été décapités.

Les séances de flagellation publique ne sont pas non plus exceptionnelles. Le régime s'en sert pour bien faire passer le message et faire taire les voix discordantes.

Malgré quelques améliorations microscopiques aux droits des femmes, la situation se dégrade. Et l'adoption d'une nouvelle loi antiterroriste crée une situation «alarmante» pour les derniers droits et libertés au royaume saoudien, s'inquiète Adam Coogle, expert de ce pays à Human Rights Watch.

On ne manque pas de raisons pour dénoncer ce régime oppressif et son système judiciaire arbitraire. Pourquoi le cas de Raif Badawi a-t-il soulevé un tel tollé international? Un peu, beaucoup à cause du hasard qui a fait coïncider sa première séance de flagellation avec l'attentat contre Charlie Hebdo.

Riyad s'est empressé de dénoncer cette tuerie, et a pris soin de dépêcher un représentant à la «marche républicaine» du 11 janvier, à Paris. À peine deux jours plus tôt, le blogueur condamné pour «insulte à l'islam» avait reçu les premiers 50 coups de bâton. Il lui en reste 950...

Le régime saoudien s'émouvait donc d'une attaque contre des journalistes français tout en frappant, littéralement, un de ses propres journalistes! C'était assez pour que le slogan «Je suis Raif Badawi» prenne son envol. Assez pour injecter une puissante dose de stéroïdes au mouvement de défense du blogueur saoudien.

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Est-ce suffisant pour faire libérer Raif Badawi? On n'en est pas là. L'Arabie saoudite est à un moment particulier de son histoire. Le roi Abdallah est mort hier, à l'âge 90 ans. On le savait mal en point depuis longtemps. Et divers courants, plus ou moins conservateurs, se confrontent dans l'ombre pour la relève.

Dans cette guerre de succession, «il vaut mieux ne pas avoir l'air d'un laquais de l'Occident» en cédant aux pressions internationales, fait valoir Thomas Juneau, expert du Moyen-Orient à l'université d'Ottawa.

En même temps, la justice saoudienne s'est déjà adoucie, dans le passé, devant des vagues de pression. Je pense à Mohamed Kohail, ce jeune Montréalais condamné à Riyad qui a fini par être libéré, après avoir passé six ans en prison. Ou à William Sampson, ce Canado-Britannique qui a été détenu et torturé pendant plus de deux ans par le régime saoudien, avant de retrouver la liberté.

Qui sait, en reportant à deux reprises la séance de flagellation, Riyad se livre peut-être à une manoeuvre dilatoire, en espérant que le mouvement s'essouffle. Pour négocier discrètement la libération de Raif Badawi par la suite. C'est loin d'être gagné. Et ce n'est pas le temps de baisser les bras. Mais il y a comme un petit espoir.

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Ce qui laisse ouverte la question de toutes les autres victimes de ce régime répressif. Ceux que l'on fouette, que l'on emprisonne et que l'on décapite, après des procès bidon, sur la foi d'aveux arrachés sous la torture.

Peut-on vraiment continuer à faire affaire comme si de rien n'était avec ce pays hypocrite, qui courtise les grandes capitales, tout en nourrissant les mouvements djihadistes qui les menacent? Peut-on lui vendre pour 15 milliards de blindés sans s'assurer qu'ils ne serviront pas à réprimer les civils - comme s'apprête à faire le Canada?

Raif Badawi est toujours en prison. Croisons les doigts: il en sortira peut-être un jour. Mais il faudra plus pour que l'Arabie saoudite devienne un pays fréquentable.

Le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, a profité de son passage au Forum économique mondial à Davos, en Suisse, pour rencontrer un membre de la famille royale saoudienne afin de lui faire part des préoccupations de son gouvernement relativement au cas de Raif Badawi. M. Baird et le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, ont par ailleurs affirmé qu'advenant la libération de Raif Badawi, Québec et Ottawa feraient des efforts pour le rapatrier au Québec afin qu'il retrouve sa femme et ses trois enfants. Pendant ce temps, un nouveau rassemblement avait lieu à Montréal en appui au blogueur emprisonné. Le chef de l'opposition, Thomas Mulcair, qui participait à ce rassemblement, avait préalablement exigé à son tour du gouvernement conservateur qu'il augmente la pression pour faire cesser le traitement «intolérable» et «barbare» infligé à M. Badawi. -