Ceci n'est pas une chronique. C'est plutôt une épitaphe.

Pour qui? Reyhaneh Jabbari, cette Iranienne qui a été pendue samedi dernier, à l'aube, dans une prison de Téhéran.

La jeune femme avait été reconnue coupable du meurtre d'un homme qu'elle accusait d'avoir tenté de la violer, et qu'elle a frappé avec un couteau de poche. À l'époque, elle avait tout juste 19 ans. Le jour de son exécution, elle en avait 26.

L'histoire de Reyhaneh Jabbari a soulevé un mouvement de solidarité internationale, qui a poussé les bourreaux iraniens à repousser à plusieurs reprises sa pendaison. Mais pas à l'annuler. Selon la loi iranienne, il aurait fallu que la famille de sa victime accepte qu'on lui laisse la vie sauve. Ça n'a pas été le cas.

Que s'est-il donc passé ce jour où la jeune décoratrice a accepté de visiter le bureau d'un ancien employé du ministère du Renseignement, Morteza Abdolali Sarbandi, dans l'espoir de décrocher un contrat?

Selon le tribunal qui l'a condamnée à la peine de mort, elle avait l'intention de le tuer dès le départ. À preuve, ce couteau de poche qu'elle avait acheté deux jours plus tôt.

Mais des organismes de défense de droits de la personne, dont Amnistie internationale, estiment que le procès de la jeune femme a été bâclé, ne serait-ce que parce qu'elle a été interrogée sous la contrainte.

Reyhaneh a décrit sa propre version des faits sur une page Facebook qui lui a été consacrée. Elle y raconte comment sa vie a chaviré un jour où elle était allée manger une glace dans un café. Et comment, rétrospectivement, elle aurait préféré que «cette journée maudite n'ait jamais existé».

Ce jour-là, raconte-t-elle, deux hommes l'ont entendue parler au téléphone avec une copine, et l'ont apostrophée à la sortie du café.

Le compagnon de Morteza Abdolali Sarbandi l'a rappelée quelques jours plus tard, pour lui demander de visiter le fameux bureau qui avait prétendument besoin d'un nouveau look. Reyhaneh a accepté.

Le jour du rendez-vous, elle s'est retrouvée dans un appartement désaffecté avec un homme qui ne pensait pas du tout à la décoration. Il lui a demandé de fermer la porte derrière elle et a voulu l'agresser. Elle l'a frappé avec son couteau. Et elle s'est enfuie.

Reyhaneh jure qu'elle n'a pas tué Morteza Abdolali Sarbandi. Et qu'un autre homme, présent sur les lieux, a porté le coup fatal.

Le rapporteur des Nations unies pour les droits de l'homme en Iran, Ahmed Shaheed, donne crédit à la version de la jeune femme, qui a été gardée deux mois dans une cellule d'isolement, sans accès à un avocat, après son arrestation. Ça donne une idée de la qualité des procédures qui ont suivi...

Malgré une mobilisation internationale qui a rassemblé Amnistie internationale, l'ONU et l'Union européenne, malgré une pétition de 20 000 noms demandant à l'Iran de lui laisser la vie sauve, Reyhaneh Jabbari a donc quitté ce monde samedi matin, heure de Téhéran.

Avant de mourir, elle a dicté une lettre poignante à sa mère, où elle trace le bilan de sa trop courte vie.

«Durant cette nuit inquiétante, j'aurais dû être tuée. Mon corps aurait été jeté dans un coin de la ville. [...] Le meurtrier n'aurait jamais été retrouvé parce que nous n'avons ni leur richesse ni leur pouvoir», écrit-elle.

Un peu plus loin, elle écrit comment elle a été battue et maltraitée en prison. Elle termine en demandant à sa mère de s'assurer que ses organes soient donnés à quelqu'un à qui elle pourrait ainsi sauver la vie.

Puis, elle la supplie de ne pas pleurer sa mort. «Donne-moi au vent, afin qu'il m'emporte.»

Avec sa vie tragiquement volée, Reyhaneh Jabbari mérite mieux que d'être emportée par le vent de l'histoire. Si je vous raconte son histoire, c'est pour qu'elle échappe un tout petit peu à l'oubli. Et aussi pour vous rappeler que des milliers de femmes risquent chaque jour de tomber sous les armes de quelque bourreau, simplement parce qu'elles se sont retrouvées au mauvais endroit, au mauvais moment. La plupart meurent dans l'anonymat absolu. Reyhaneh Jabbari leur donne, en quelque sorte, un visage.