L'Australie l'a fait, la France, l'Arabie saoudite et la Turquie aussi. Une douzaine de pays ont déjà accepté de participer aux frappes aériennes américaines contre le groupe armé État islamique (EI) en Syrie et en Irak. Et le Canada s'y joindra dès la semaine prochaine.

Le débat sur cet engagement militaire réveille de mauvais souvenirs, ceux de la guerre contre Saddam Hussein à laquelle le Canada avait eu la bonne idée de ne pas participer...

Mais l'Irak de 2014 est différent de celui de 2003. Nous ne faisons pas face, cette fois, à une menace imaginaire. Depuis qu'il a mis la main sur la deuxième ville d'Irak, Mossoul, il y a quatre mois, l'EI a eu largement le temps de montrer de quoi ses hommes sont capables.

Un rapport publié jeudi par l'ONU détaille les exactions qu'il a infligées aux civils irakiens au cours des quatre derniers mois. Exécutions sommaires, viols collectifs, enlèvements, pendaisons publiques: les hommes de l'EI massacrent sans l'ombre d'un scrupule.

Sur le terrain, les djihadistes menacent d'étendre leur territoire. La bataille pour la ville syrienne de Kobané, à la frontière de la Turquie, se poursuivait, d'ailleurs, hier.

Alors, oui, il y a d'excellentes raisons de vouloir stopper ces exaltés sanguinaires. Y compris, s'il le faut, par une offensive militaire internationale.

Mais pas n'importe quelle offensive. Or, l'opération dans laquelle se sont engagés les États-Unis, c'est, malheureusement, un peu n'importe quoi...

«Politiquement, les frappes ont eu jusqu'à maintenant un impact négatif», constate Robert Blecher, analyste à l'International Crisis Group, selon qui la coalition est en train de répéter les erreurs passées.

L'un des principaux risques soulevés par cette offensive, c'est qu'elle finisse par aliéner les populations mêmes que l'on prétend sauver des griffes des islamistes.

Robert Blecher cite l'exemple de villages syriens qui ont été bombardés un jour par l'armée américaine et, le lendemain, par le régime de Bachar al-Assad.

«Sur le terrain, il est très difficile de comprendre d'où exactement viennent les missiles. Et il est très difficile d'expliquer aux groupes rebelles dominants pourquoi Assad, lui, n'est pas bombardé.»

Ceux, parmi les rebelles, qui attendent de l'aide occidentale finissent par avoir l'impression d'être livrés en pâture au régime qu'ils combattent. Tandis que les civils ont le sentiment de se trouver sous le feu d'armes qui visent uniquement les sunnites. «Politiquement, ça crée une situation extrêmement difficile», selon Robert Blecher.

Et puis, qui vise-t-on au juste? Il y a deux semaines, les Américains ont bombardé une brigade affiliée à un autre groupe de rebelles djihadistes, le Front al-Nosra.

Or, ce groupe se bat sur deux fronts: contre Bachar al-Assad ET contre l'EI, son ennemi juré. En le soumettant à une pluie d'obus, on a donné un coup de main aux «méchants» que l'on veut anéantir. C'est assez paradoxal, merci.

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Revenons à l'Irak. Là aussi, la ligne entre «gentils» et «méchants» n'est pas toujours étanche. Selon le rapport de l'ONU, l'armée irakienne et différentes milices chiites ne font pas non plus dans la dentelle.

Ici aussi, donc, les frappes aériennes peuvent entraîner des conséquences indésirables. Notamment en radicalisant ceux que l'on prétend protéger, dans la plus grande confusion.

«Personne ne sait quelle est au juste la stratégie poursuivie par la coalition», résume l'hebdomadaire allemand Spiegel dans une longue analyse.

Menée comme elle l'est actuellement, cette offensive soulève davantage de questions qu'elle n'apporte de réponses. Est-ce qu'on combat seulement l'EI, ou tous les islamistes, y compris ceux du Front al-Nosra?

Sous-question: comment éviter d'aider Bachar al-Assad, et donc de s'aliéner les rebelles syriens les plus fréquentables?

De façon plus large: y a-t-il une stratégie politique pour l'après-guerre, tant en Irak qu'en Syrie? Et finalement, prend-on assez soin de s'assurer un soutien local à cette offensive, sans lequel elle est vouée à l'échec?

Quand le groupe État islamique a fait son apparition en Irak, au milieu des années 2000, la réponse n'est pas venue du ciel... mais des tribus sunnites locales qui ont réussi à le contenir.

Et s'il a pu prendre une telle expansion, cette année, c'est parce que ces mêmes tribus ne font plus confiance au pouvoir chiite de Bagdad. Finalement, pour venir à bout de la menace - bien réelle - que représente le groupe État islamique, il faut offrir une «solution politique aux sunnites irakiens et syriens», souligne Robert Blecher. Selon lui, cette solution existe, même en Syrie, où il y a encore des rebelles sunnites tout à fait fréquentables pour la communauté internationale.

Le problème, c'est que dans sa forme actuelle, la guerre contre l'EI risque de transformer ces éventuels alliés de l'Occident en ennemis...

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Avec toutes ces couches de confessions, de tribus et de guerres fratricides, l'Irak et la Syrie présentent des situations d'une complexité extrême. Pour dire les choses simplement: oui, l'EI peut être combattue par les armes. Mais cette guerre-là est mal barrée. Et rien dans le discours de Stephen Harper n'indique qu'il compte utiliser son pouvoir d'influence pour réaligner les choses.