Au moins un millier de soldats russes combattent actuellement en Ukraine, en appui aux rebelles séparatistes qui foncent vers la ville portuaire de Marioupol, dans le sud-est du pays.

Cette fois, il ne s'agit pas des «bonshommes verts» des forces spéciales russes ni de mercenaires et vétérans d'autres guerres, mais bien de soldats de l'armée régulière qui retirent leurs insignes et leurs plaques d'identité avant d'entrer en territoire ukrainien.

Le président Vladimir Poutine jure que ces soldats ont tous profité de leurs vacances pour faire un petit saut en Ukraine, de leur propre chef. Drôle de destination de vacances, dont plusieurs ne reviendront jamais: une seule bataille récente a causé la mort d'une centaine de ces militaires, selon le Conseil russe des droits de l'homme.

Un millier de soldats, des blindés, de l'artillerie lourde: est-ce assez pour parler d'invasion? La définition du mot fluctue au gré des dictionnaires. Ça va d'«action d'envahir un pays avec des forces armées» à «pénétration belliqueuse et massive des forces armées d'un État sur le territoire d'un autre État».

Les «vacanciers» russes sont-ils assez nombreux et assez belliqueux pour parler d'invasion? On peut bien jouer avec le sens des mots. Mais au-delà de la sémantique, il y a une réalité: Moscou ne se contente plus d'armer, financer et entraîner les rebelles prorusses de l'est de l'Ukraine. Elle combat désormais clairement à leurs côtés.

La crise ukrainienne vient donc de changer de nature. Ce n'est plus uniquement une guerre civile, mais un conflit international au cours duquel un pays a violé l'intégrité territoriale de son voisin.

Parallèlement aux combats, le président russe a multiplié ces derniers jours des déclarations qui donnent une idée de l'univers idéologique dans lequel il évolue. À ses yeux, l'armée ukrainienne qui tente de reprendre le contrôle de son pays se compare à l'armée nazie au moment du siège de Leningrad pendant la Seconde Guerre mondiale! Les rebelles prorusses et leurs amis de Moscou interviennent donc ici à titre de «libérateurs».

Dans un communiqué publié vendredi sur le site web du Kremlin, le président Poutine s'adresse aux milices rebelles comme à des «combattants de la Nouvelle Russie» - concept géographique qu'il a ressuscité en avril dernier, et qui fait référence aux territoires conquis par Catherine la Grande au XVIIIe siècle. Notamment dans le sud-est de l'Ukraine.

«Les partenaires de la Russie doivent comprendre qu'il ne faut pas nous provoquer», a encore lancé Vladimir Poutine, vendredi, à ses jeunes supporteurs réunis au traditionnel camp d'été du lac Seliger. Rassurant, il a poursuivi en disant que de toute façon, aucun pays ne voudra se lancer en guerre contre la Russie, qui est «l'une des plus grandes puissances nucléaires du monde».

Et en effet, la communauté internationale observe le volcan ukrainien avec un sentiment d'impuissance. L'annexion de la Crimée, il y a six mois, a vite été rangée au rayon des faits accomplis. L'avancée des rebelles prorusses vers Marioupol a provoqué une escalade diplomatique, cette semaine. Mais jusqu'où osera-t-on aller pour la stopper?

L'Ukraine n'est pas membre de l'OTAN et l'alliance militaire n'a pas l'obligation de la défendre en cas d'agression territoriale. La réponse à l'agression russe peut aussi difficilement venir du Conseil de sécurité de l'ONU, où la Russie jouit d'un droit de veto. Il y a la menace de sanctions économiques plus massives, mais là encore, l'Europe est très dépendante du gaz russe - c'est donc une arme à double tranchant.

Devant l'agression militaire russe, le Parlement ukrainien a été saisi vendredi d'un projet de loi qui lancerait le pays sur le chemin de l'adhésion à l'OTAN.

Kiev avait abandonné cette option il y a plusieurs années, pour ne pas indisposer son puissant voisin. Paradoxalement, l'agression militaire en cours est en train de pousser l'Ukraine dans les bras de l'alliance militaire occidentale.