Il y a eu Plomb durci, l'offensive déclenchée par Israël en décembre 2008 pour mettre fin aux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza et détruire le réseau de tunnels palestiniens vers l'Égypte. En trois semaines, cette guerre a fait plus de 1300 morts, en majorité des civils palestiniens.

Mais les tunnels et les roquettes ont été progressivement reconstruits. En novembre 2012, Israël déclenche donc Pilier de défense, nouvelle offensive contre le Hamas, ce mouvement islamiste qui contrôle la bande de Gaza. Moins meurtrière que la précédente, avec «seulement» 160 morts, cette guerre sera aussi la plus brève. Après huit jours, elle débouche sur un accord de cessez-le-feu par lequel Israël accepte de desserrer le blocus imposé à l'enclave palestinienne depuis l'arrivée au pouvoir du Hamas.

«Nous allons nous réarmer», m'avait dit le membre d'une des brigades armées de Gaza, au lendemain du cessez-le-feu de 2012.

Et en effet. Israël vient maintenant de lancer Bordure protectrice, la plus longue et la plus terrible de ces trois guerres, avec ses presque 2000 morts, dont 700 femmes et enfants.

But de l'opération: faire cesser les pluies de roquettes sur Israël, mais aussi détruire les tunnels du Hamas qui, comme l'ont découvert avec stupeur les Israéliens, s'enfoncent maintenant dans leur propre sous-sol.

Hier, Palestiniens et Israéliens ont prolongé leur trêve pour cinq jours, malgré les violations des deux parties. À plus ou moins court terme, elles finiront par s'entendre sur un apaisement prolongé. Mais l'expérience passée est éloquente: à moins d'un changement radical de stratégie, celui-ci débouchera fatalement sur une nouvelle explosion.

Quelle que soit leur justification, quels que soient les noms poétiques dont on les baptise, les bombardements de Gaza ne règlent rien. Cette fois, comme avant, des centaines de femmes et d'enfants seront donc morts pour rien. Pire: le carnage aura renforcé la position de ceux-là mêmes qu'Israël veut détruire.

Selon un centre de recherche palestinien réputé, le taux de popularité du Hamas est passé de 45 à 24% après qu'il eut pris contrôle de Gaza, il y a sept ans. Les représailles israéliennes le propulsent chaque fois à la hausse.

***

J'ai séjourné à Gaza en janvier 2009 et pendant la guerre de novembre 2012. Et j'ai suivi de loin l'actuel été meurtrier, avec le sentiment de revivre un nouvel épisode du Jour de la marmotte - lassante répétition d'un scénario prévisible qui exacerbe la haine et renforce les extrémistes dans les deux camps.

Au lendemain de la trêve de novembre 2012, j'avais vu des hommes armés bomber le torse en s'attribuant le mérite de l'allègement du blocus israélien. Aux yeux de nombreux Gazaouis, cette «victoire» démontrait qu'on obtient davantage avec des roquettes qu'avec des mots... Et c'est précisément ce que le Hamas veut prouver.

Le Hamas est une organisation radicale qui aspire à faire disparaître Israël. En 2012, un responsable de la sécurité à Gaza m'avait résumé sa vision ainsi: «Nous n'avons rien contre l'existence d'un État juif, mais qu'il aille donc exister ailleurs...»

Ce mouvement qui contrôle le sort de 1,7 million de Palestiniens est déchiré par des tiraillements entre une aile extrémiste et une autre, modérée. Mais fondamentalement, «ça ne l'intéresse pas de discuter de paix», constate le pacifiste israélien Gershon Baskin.

L'homme sait de quoi il parle. Il a joué un rôle clé dans les négociations pour la libération du soldat israélien Gilad Shalit, kidnappé par le Hamas en juin 2006. Pendant cinq ans, il a fait la navette entre l'organisation islamiste et les dirigeants israéliens dans d'interminables négociations qui ont abouti à la libération du jeune soldat - expérience que Gershon Baskin relate dans son récent livre, Le négociateur.

Je l'ai joint en Israël, hier. Pour lui, il est clair que le Hamas ne cherche que des concessions tactiques, pas une entente véritable avec son puissant voisin. «Depuis 2012, ils n'ont fait que se préparer pour la guerre suivante.»

Mais en fonçant ainsi dans une nouvelle confrontation, Israël est tombé dans un piège. À la fin de l'affrontement, il n'aura d'autre choix que de consentir à quelques concessions qui renforceront le Hamas dans l'opinion palestinienne. En même temps, chaque déferlement de violence pousse de nouveaux jeunes dans les bras de quelque brigade djihadiste.

Aujourd'hui, un enfant de six ans, à Gaza, a déjà vécu l'expérience de trois guerres. Tout ce qu'il connaît d'Israël, ce sont ses tanks, ses drones et ses missiles... Il y a là de quoi former de nouveaux tireurs de roquettes, prêts à servir de chair à canon, à défaut d'autres perspectives.

***

Faut-il en conclure qu'il n'y a rien à faire? Que ce territoire tourmenté est condamné à servir de théâtre à des guerres destructrices jusqu'à la fin des temps?

Je ne partage pas cette vision défaitiste. Cet engrenage insensé peut être dénoué. Mais le leadership de ce changement de cap appartient, en bonne partie, à Israël.

Pour mettre fin au cercle vicieux de la violence, il faut affaiblir le Hamas, au lieu de le renforcer, affirme Gershon Baskin. Et la seule manière de lui couper les ailes, c'est de reprendre des négociations de paix avec le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

Mahmoud Abbas appartient au Fatah, le mouvement rival du Hamas, qui contrôle la Cisjordanie, où vivent près de 2 millions de Palestiniens. Et qui accepte le principe du partage de la Palestine historique entre deux États.

D'autres voix, dont celle de l'ancien ambassadeur américain en Israël Daniel Kurtzer, refusent de céder au pessimisme ambiant et suggèrent des scénarios de sortie de crise. Reprendre les pourparlers de paix sur la base de l'initiative de paix arabe de 2002. Reconnaître le gouvernement palestinien issu de la réconciliation entre le Hamas et le Fatah - mais ne comptant pas un seul membre du Hamas. S'adresser aux habitants de Gaza avec un message d'espoir, au lieu de bombes. Promettre de reconstruire leurs infrastructures détruites. Dépêcher une force internationale arabe dans la bande de Gaza, avec un mandat de l'ONU, pour la sécuriser. Et, par-dessus tout, mettre un terme à la colonisation juive de la Cisjordanie.

Ce n'est pas une solution magique, bien sûr. Et en ce moment, les voix que l'on entend le plus en Israël sont celles des radicaux qui s'imaginent qu'on peut annihiler le Hamas.

Mais l'expérience montre que chaque djihadiste tué en fait apparaître dix nouveaux. C'est le cercle vicieux de la mort et de la vengeance. Pour en sortir, les Palestiniens doivent croire que la modération est plus efficace que les roquettes.

Malheureusement, il y a des années que la droite au pouvoir en Israël fait tout pour les convaincre du contraire.