Ainsi donc, la Russie a décidé de fermer le robinet des pipelines qui acheminent son gaz vers l'Ukraine et, à partir de là, vers l'Europe.

Après des mois de tiraillements commerciaux, cette décision ne surprend personne. Elle s'inscrit dans la suite logique du conflit qui oppose les deux pays depuis plus de six mois.

Dans l'immédiat, il n'y a pas non plus de menace de pénurie à l'horizon. Ni pour l'Ukraine ni pour les pays européens branchés sur le gaz russe. Une coupure de gaz n'a pas le même effet en juin qu'en plein hiver, comme c'est arrivé en 2009. Et les réserves de gaz actuelles sont suffisantes pour permettre de subvenir aux besoins de tout le monde pour au moins quelques mois.

Bref, si vous planifiez des vacances européennes, ne vous inquiétez pas: il y aura de l'eau chaude dans la douche.

L'annonce d'hier n'en ajoute pas moins une nouvelle couche d'hostilités au conflit entre Kiev et Moscou, qui se transporte maintenant sur le terrain économique. Pour bien comprendre l'enjeu de la guerre du gaz, reportons-nous en novembre dernier quand l'ex-président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, a fait un virage à 180 degrés et refusé de signer le traité d'association avec l'Union européenne (UE), ouvrant la voie aux protestations qui allaient lui coûter son poste, trois mois plus tard.

En échange de son changement de cap, la Russie avait accepté de réduire de façon substantielle le prix du gaz dont elle est le fournisseur quasi exclusif pour son voisin ukrainien.

Quelques années plus tôt, Moscou avait consenti un autre rabais, en échange d'une prolongation du bail qui permettait à sa flotte de rester stationnée en Crimée.

Du point de vue de Moscou, ces deux rabais n'ont plus leur raison d'être. Le nouveau gouvernement ukrainien compte reprendre le processus d'adhésion à l'UE. Le président Petro Porochenko a d'ailleurs annoncé son intention de signer un traité de libre-échange avec l'Union européenne dès la semaine prochaine.

Par ailleurs, depuis qu'elle a annexé la Crimée, la Russie estime qu'elle n'a plus besoin d'autorisation pour y laisser sa base militaire. Dorénavant, elle y est chez elle...

L'Ukraine est donc retournée à la case départ, face à la per-spective d'une facture majorée de 50 à 80% qu'elle est incapable d'assumer. Moscou a resserré le goulot d'étranglement d'un autre tour en demandant à Kiev de rembourser une dette d'au moins 2 milliards.

La confrontation s'est déplacée vers la Cour internationale d'arbitrage de Stockholm, où Moscou et Kiev se crêpent le chignon. «Actuellement, il n'y a pas d'urgence, mais il y a de l'inquiétude pour l'hiver», souligne Isabelle Fortin, spécialiste de la «crise du gaz» de 2009 à l'Université d'Ottawa.

Elle signale aussi que depuis cinq ans, l'Europe a appris la leçon. En 2009, 80% du gaz qu'elle achetait en Russie passait par l'Ukraine. Aujourd'hui, ce n'est plus que 50%. Et puis, à ses yeux, la confrontation sur le terrain du gaz tient un peu du «game of chicken», ce jeu où chaque adversaire a quelque chose à perdre mais s'accroche à sa position le plus longtemps possible, pour ne être celui qui passera pour la poule mouillée...

Dans ce cas de figure, si Kiev ne peut pas se permettre de payer sa facture de gaz au prix régulier, Moscou ne peut pas non plus se passer de ses revenus gaziers. Qui cédera le premier?

Finalement, la rupture de l'approvisionnement en gaz n'est que l'expression économique d'une crise qui s'envenime chaque jour un peu plus. Comme c'est le cas lors d'un divorce, la séparation entre Kiev et Moscou est d'autant plus douloureuse quand le partenaire souhaitant couper des liens est économiquement dépendant de l'autre...

Mais au-delà de cette guerre du gaz, le conflit ne cesse de dégénérer. Les derniers jours ont été particulièrement explosifs. Les rebelles sécessionnistes de l'est de l'Ukraine ont abattu un avion transportant 40 soldats ukrainiens, infligeant les pires pertes militaires à Kiev. Ils ont pris le contrôle des bureaux de la banque nationale ukrainienne à Donetsk, ce qui leur donnera accès aux transferts fiscaux de la capitale.

Pendant ce temps, des manifestants saccageaient l'ambassade de la Russie à Kiev. Tandis que des familles prises en étau tentaient désespérément de fuir la ville assiégée de Sloviansk.

La crise ukrainienne dure depuis sept mois. Ces derniers jours, elle a été éclipsée par d'autres crises, dont la spectaculaire avancée des islamistes radicaux en Irak. Mais si on en parle moins, elle n'est pas réglée pour autant. Bien au contraire, petit à petit, la mécanique de l'escalade se met en place.