Ghislaine Dupont, c'était d'abord une voix. D'une tonalité grave, qui dégageait une «forte assurance», selon le journaliste québécois Michel Arseneault.

Une voix si présente que de nombreux Africains la reconnaissaient dès le premier mot. Particulièrement en République démocratique du Congo, pays qu'elle a couvert pendant une décennie pour Radio France Internationale (RFI). Avant d'en être expulsée pendant les élections de 2006, à la suite de reportages sans complaisance pour le camp du président Joseph Kabila.

C'est cette voix d'une passionnée de l'Afrique et de l'information que des tueurs ont assassinée samedi, près de Kidal, dans le nord-est du Mali. La journaliste, ainsi que le technicien Claude Verlon, sortaient d'une interview avec un leader touareg quand des hommes les ont kidnappés, avant de les abattre, une douzaine de kilomètres plus loin.

À Paris, leurs collègues sont inconsolables. Sur le compte twitter de RFI, le sigle du réseau est barré d'un bandeau noir en signe de deuil.

À 57 ans, Ghislaine Dupont était LA référence sur l'Afrique à RFI. «Elle avait d'excellents contacts avec des ministres qui la tenaient au téléphone pendant des heures», dit un autre collègue, Nicolas Champeaux. Celle que l'on surnommait Gigi commandait un tel respect que les politiciens la rappelaient même après des reportages négatifs. «Ils savaient que parler avec Ghislaine, ce n'était jamais du temps perdu.»

Ses collègues décrivent une femme infatigable, qui a sacrifié sa vie personnelle à son travail, qui restait au bureau tard le soir et poussait ses contacts «dans leurs derniers retranchements». Une femme exigeante envers elle-même et les autres, qui avait un «caractère bien trempé», mais qui savait aussi rire d'elle-même. Une journaliste qui avait un véritable «fan club», particulièrement en RDC, où elle avait aussi participé à former les journalistes de la radio locale Okapi.

«Ghislaine était une voix très familière au Congo, elle a fait naître dans mon pays d'autres Ghislaine qui lutteront pour la liberté d'informer», écrit le journaliste congolais Willy Bwiti, parmi les dizaines de témoignages recueillis par RFI au cours des derniers jours.

Dans un autre hommage, l'écrivain malien Birama Konaré salue le courage de Ghislaine Dupont et prévoit que le jour des prochaines législatives, le 24 novembre, aucune autre voix ne rapportera les événements depuis Kidal, cet épicentre du conflit malien.

Car si la situation s'est stabilisée à Gao et Tombouctou, 10 mois après l'intervention militaire de la France pour stopper la progression des rebelles maliens, Kidal échappe toujours à tout contrôle. Entre les groupes autonomistes touaregs et la mouvance salafiste proche d'Al-Qaïda, la responsabilité du double meurtre est pour l'instant impossible à attribuer. On ne connaît pas non plus ses raisons. Mais ses conséquences, elles, sont prévisibles: il contribuera à couper tout un pan du Mali du reste du monde.

Ghislaine Dupont et Claude Verlon ne sont pas les seuls reporters à avoir payé leur engagement professionnel de leur vie. Depuis une dizaine d'années, le nombre de journalistes tués au travail ne cesse d'exploser. RFI a eu sa part de deuils, ayant perdu deux autres reporters au début des années 2000, en Afghanistan et en Côte d'Ivoire.

Depuis le début de 2013, 45 journalistes ont perdu la vie, surtout en Somalie et en Syrie. En 2012, il y en a eu 88. La plupart d'entre eux étaient des journalistes locaux dont vous n'entendrez jamais parler.

L'époque où la carte de presse servait de protection et garantissait la neutralité de son propriétaire est bel et bien révolue. «Depuis le début des années 2000, des journalistes ont pris part à des convois militaires, la nature des conflits a changé, les lignes se sont brouillées», déplore Cléa Kahn Sriber, de Reporters sans frontières (RSF), à Paris.

De plus en plus souvent, les journalistes sont visés spécifiquement parce qu'ils sont journalistes. Et parce qu'on veut soustraire des régions ou des pays à tout regard extérieur. Aux yeux de RSF, céder à la menace équivaut à donner raison à leurs assassins.

agruda@lapresse.ca

Depuis le coup d'État du printemps 2012 au Mali, ce pays est passé de la 25e à la 99e place sur le baromètre mondial de la liberté de la presse tenu par Reporters sans frontières.

2013 45

2012 88

2011 67

2010 58

2008 61

2002 25

Source : Reporters sans frontières