Une nouvelle radio indépendante diffuse vers la Syrie depuis Paris. Son objectif: donner la voix au peuple syrien. La tâche n'est pas facile pour ses correspondants, qui couvrent un conflit dont ils sont également les victimes.

C'est un immeuble de quatre étages, à quelques dizaines de mètres du Sacré-Coeur, à Montmartre.

Au pied du bâtiment, les touristes déambulent entre les cafés et les boutiques de souvenirs, appareil-photo à l'épaule. Mais dans l'appartement lumineux converti en studio de radio, les journalistes n'ont pas la tête au tourisme.

Ce qui les préoccupe, ce sont les bombes qui viennent de s'abattre sur Malki, l'un des plus riches quartiers de Damas, qui avait jusque-là échappé au pilonnage de l'armée syrienne. C'est aussi la possibilité de nouvelles attaques à l'arme chimique. Et bien sûr, l'éventualité des frappes internationales contre la Syrie.

Bienvenue à Radio Rozana, qui poursuit depuis deux mois une expérience unique: informer les Syriens, en arabe, de façon libre et indépendante, respectant toutes les normes du métier.

Le défi est constant. «Nos correspondants peuvent devenir très émotifs. Le jour des attaques chimiques, ils étaient si bouleversés qu'ils étaient incapables d'intervenir en direct», raconte la rédactrice en chef Lina Chawaf.

Comme ses cinq collègues du bureau parisien de Radio Rozana, Lina Chawaf est une journaliste syrienne en exil. Elle a fui le pays en août 2011 pour s'établir à Montréal.

Mais depuis le 27 juin, jour où Radio Rozana est entrée en ondes, Lina Chawaf passe plus de temps à Paris qu'au Québec.

L'idée de départ de ce projet: mettre sur pied une antenne d'information indépendante, professionnelle, qui ne serait alignée ni sur le régime, ni sur l'opposition, pour informer la population syrienne.

La radio compte sur une trentaine de correspondants en Syrie, tous rémunérés, répartis autant dans les zones contrôlées par le régime que dans celles de l'opposition.

L'équipe n'a pas été facile à rassembler. «Les journalistes professionnels syriens ont quitté le pays, ou alors ils travaillent pour les médias du régime», constate Henrik Grunnet, de l'ONG danoise Soutien aux médias internationaux (IMS), qui a été à l'origine du projet.

Les correspondants de Radio Rozana ont donc été recrutés parmi des étudiants syriens, qui ont suivi deux séances de formation journalistique en Turquie. Ils ont appris à écrire pour la radio, à contre-vérifier leurs informations et à présenter différents points de vue dans leurs reportages. Y compris ceux du régime.

«Ce n'est pas facile de ne pas être partisan dans un contexte aussi polarisé, quand des membres de votre famille se font tuer», fait valoir Henrik Grunnet. Mais Radio Rozana ne démord pas de sa ligne de conduite: elle veut donner une voix aux Syriens coincés entre le régime et les rebelles. Et leur donner les informations dont ils ont besoin pour survivre.

Le jour de mon passage au studio parisien, cette semaine, Radio Rozana interrogeait trois experts pour expliquer aux auditeurs comment se protéger en cas de nouvelle attaque chimique. Principal conseil: n'allez surtout pas vous réfugier dans une cave. Les gaz toxiques se dispersent vers le sol.

Des Syriens étaient aussi invités à donner leur opinion sur une éventuelle intervention internationale. Ce qui en ressort? «Les gens sont très partagés, même en zone rebelle. Beaucoup craignent que les frappes n'apportent encore plus de destruction. Ils ne font pas confiance aux États-Unis», dit Lina Chawaf.

Les correspondants de Radio Rozana naviguent sur des eaux agitées. Du côté des territoires soumis au régime, ils craignent d'être démasqués. Un des correspondants a été arrêté il y a un mois. Personne ne sait ce qui lui est arrivé depuis.

En zone rebelle, les correspondants craignent les éventuelles représailles des groupes djihadistes. C'est particulièrement le cas dans la ville d'Alep, où les «correspondants craignent de couvrir les islamistes de façon critique», confie Lina Chawaf. N'empêche: quand les habitants d'Alep ont manifesté contre le kidnapping de deux journalistes français, Rozana était là pour couvrir l'événement.

Rozana, ou «puits de lumière» en arabe, diffuse tous les jours, de 16h à 18h, sur le web et par satellite. En deux mois, elle a réussi à rejoindre 23 000 auditeurs.

La radio se heurte à une panoplie d'obstacles logistiques, ne serait-ce que pour payer ses correspondants, alors qu'il est impossible de faire des virements bancaires vers la Syrie.

Mais le plus problématique, ça reste de diriger une équipe de journalistes qui vivent au coeur du conflit dont ils rendent compte.

«Pardonne-moi si je meurs», disent souvent les collaborateurs de Radio Rozana, après que Lina Chawaf leur ait donné leur affectation quotidienne. Une phrase qui évoque l'omniprésence de la mort. Et qui résonne longtemps entre les murs du studio parisien.