Dans une des déclarations à l'emporte-pièce qui ont fait sa marque, au point d'être qualifiées de «thatchérismes», Margaret Thatcher a un jour affirmé que si elle s'était engagée en politique, c'est en raison du conflit entre le bien et le mal. Et parce qu'elle était convaincue qu'au bout du compte, le bien et la vérité l'emporteraient.

L'ancienne première ministre britannique voyait le monde en noir et blanc. Armée de cette vision binaire de la réalité, celle que les Soviétiques avaient surnommée «la Dame de fer» a réussi à transformer de fond en comble un pays sclérosé, pavant la voie à deux décennies de prospérité.

Mais n'en déplaise à Mme Thatcher, le monde est plus complexe qu'un western où les bons luttent contre les méchants. Non seulement sa révolution a-t-elle fait des milliers de victimes, mais elle a aussi ouvert le chemin à des excès dont ses citoyens paient encore aujourd'hui le prix.

Et puis, avec toutes ses certitudes, cette femme implacable a aussi commis des erreurs de jugement colossales, qui l'ont placée à l'occasion du mauvais côté de cette vérité qu'elle chérissait tant.

Ses réalisations font l'unanimité, à droite comme à gauche. À l'aube des années 80, la Grande-Bretagne était un pays englué dans l'immobilisme. Margaret Thatcher était une première ministre «nécessaire», reconnaît The Independent. Ce quotidien de gauche rappelle que lorsque Margaret Thatcher est arrivée au pouvoir, British Telecom régnait en roi et maître sur toutes les communications téléphoniques. En privatisant cette société d'État, le gouvernement Thatcher a cassé un monopole, fait baisser les prix et permis aux consommateurs de faire un geste qui paraît banal aujourd'hui, mais qui, à l'époque, était révolutionnaire: acheter le téléphone de son choix et l'installer soi-même dans son salon...

Mais la révolution thatchérienne avait son prix. Dès ses débuts comme ministre de l'Éducation, cette fille d'un épicier et d'une couturière a montré son caractère implacable, en abolissant la distribution universelle de lait dans les écoles.

Au fil des ans, elle a eu de nombreuses occasions d'afficher son absence de compassion. Devant les régions entières que ses politiques de privatisation, de déréglementation et de retrait de l'État mettaient au chômage. Devant les opposants à l'apartheid et à Nelson Mandela, qu'elle voyait uniquement comme un terroriste. Devant les grévistes de la faim de l'IRA provisoire, qu'elle laissera mourir dans leur prison sans sourciller.

Et même devant les «boat people» vietnamiens qu'elle estimait impossibles à intégrer et qu'elle ne voulait à aucun prix accueillir en Grande-Bretagne! «La Dame de fer avait un coeur de pierre», a écrit le Figaro dans un portrait peu flatteur publié hier. «Elle était à la fois muse et démon», a ajouté The Guardian.

Près d'un quart de siècle après son départ de la vie politique, un coup d'oeil dans le rétroviseur nous permet de constater que si la Grande-Bretagne avait besoin d'une «thérapie de choc», à l'image de ces réformes brutales appliquées par la suite dans les pays postcommunistes, la libéralisation à outrance menée par le couple Thatcher-Reagan a eu, à long terme, des effets dévastateurs.

Les emplois tellement mal payés qu'ils encouragent la dépendance à l'aide sociale sont un héritage du thatchérisme, dénonce The Independent.

Et on sait où nous a menés la déréglementation tous azimuts: vers les excès bancaires et la crise dans laquelle l'Europe et les États-Unis pataugent aujourd'hui.

En 11 ans de règne, Margaret Thatcher a fini par se croire invincible. Et sa crispation idéologique finira par avoir raison de sa carrière politique, quand elle a voulu imposer un impôt municipal pour tous, y compris les locataires, soulevant un mouvement de révolte qui l'a finalement emportée.

«Je suis en faveur du consensus. Le consensus sur ce que JE veux faire», a dit un jour Margaret Thatcher, avec son humour pince-sans-rire. Mais après 11 ans de pouvoir, ses citoyens ne l'ont plus trouvée drôle.

Ce qui restera du phénomène Thatcher? L'histoire d'une femme hors du commun qui a créé des précédents: première femme à diriger un pays occidental important, première dirigeante conservatrice issue d'un milieu modeste. Margaret Thatcher n'était pas féministe, bien au contraire, elle n'avait pas de sympathie particulière pour les femmes. Elle a dirigé son pays avec des hommes. Et comme un homme.

Mais qu'elle l'ait voulu ou non, elle n'en a pas moins ouvert la porte à celles qui ont suivi. Et ce n'est pas rien.

Et puis, avec les scandales de corruption qui salissent la vie politique, en Europe comme chez nous, l'éthique, la rigueur méthodiste et même la pingrerie de Margaret Thatcher paraissent presque rafraîchissantes.