Il faisait encore nuit, à Bagdad, quand une pluie de missiles s'est abattue sur la ville, au petit matin du 20 mars 2003. Les États-Unis venaient de lancer leur guerre contre l'Irak, aidés par une poignée de pays, dont la Grande-Bretagne.

Dans un de ces délires sémantiques qui accompagnent les grands déploiements militaires, l'offensive a été surnommée «Shock and Awe». George W. Bush et ses conseillers voulaient plonger l'Irak dans un état de choc et de stupeur. Tout ça pour quoi? Pour détruire son supposé arsenal d'armes de destruction massive. Et, accessoirement, libérer les Irakiens de l'implacable dictature de Saddam Hussein.

Six semaines suffiront pour renverser son régime. Mais ce n'est qu'en janvier 2005 que Washington et ses alliés abandonneront leur quête d'un arsenal inexistant. Contrairement à ce que suggéraient les mises en scène dramatiques qui avaient justifié la guerre, Saddam Hussein n'était pas assis sur un dépôt d'armes destructrices. Et son régime ne représentait pas une menace sérieuse, ni pour la région ni pour Washington.

La guerre préventive était donc une guerre sans objet. Restaient la liberté et la démocratie. Eh bien! 10 ans plus tard, l'Irak en est encore très loin. Pour tout dire, depuis deux ans, il aurait plutôt tendance à s'en éloigner.

Le bilan de cette décennie meurtrière est terrible. Au moins 120 000 personnes, dont plus de 93% étaient des civils, ont perdu la vie en Irak. Et c'est sans parler des blessés, des déplacés et des élites qui ont déserté le pays.

Les États-Unis ont aussi subi des pertes: environ 5000 de leurs soldats ont péri en Irak. Selon une étude récente, la facture de cette guerre dépasse l'entendement: plus de 2 billions (oui, billions) de dollars. De quoi creuser un déficit et plonger un pays dans la dèche...

Récemment, l'ex-premier ministre Tony Blair, qui avait appuyé cette guerre avec zèle, a affirmé le plus sérieusement du monde que ce n'était pas trop cher payé, compte tenu des résultats.

Voyons voir. Où en est la belle démocratie livrée aux Irakiens sur un plateau de fer et de sang?

Selon les analyses récentes de Human Rights Watch, d'Amnistie internationale et de l'International Crisis Group, voici, en gros, l'état des lieux.

D'abord, en ce qui concerne la sécurité. Après des années de guerre civile, l'Irak s'était apaisé. La vie avait repris un semblant de normalité à Bagdad. Mais les tensions renaissent et sont exacerbées par le conflit qui déchire la Syrie voisine. Résultat: en 2012, la spirale de la violence s'est de nouveau emballée, dans des affrontements qui obéissent le plus souvent à une logique sectaire. Si bien que plusieurs craignent que le pays ne soit au bord d'une nouvelle guerre civile.

Puis, en ce qui concerne la démocratie. L'occupation américaine a laissé un terrible héritage à l'Irak: la minorité sunnite, à laquelle appartenait Saddam Hussein, a été tenue à l'écart du pouvoir, au profit des chiites, religion de l'actuel premier ministre Nouri al-Maliki.

Une coalition laïque, à majorité sunnite, a tenté de renverser la vapeur aux élections parlementaires de mars 2010. Devant son succès relatif, le régime s'est durci. Il a serré la vis à ses opposants. Arrestations massives, torture généralisée qui permet d'arracher des aveux, système judiciaire défaillant, répression de toute manifestation d'opposition au gouvernement, pour prévenir toute contagion par le Printemps arabe...

Quoi d'autre? En 2012, les tribunaux irakiens ont condamné 129 détenus à la peine capitale, un record dans l'Irak de l'après-Saddam. Tandis que le Comité pour la protection des journalistes a placé le pays en première place de son index de l'impunité pour les assassinats de journalistes.

Voilà à quoi ressemble la démocratie irakienne en 2013, à quelques semaines du 10e anniversaire de la chute de Saddam Hussein. Les Irakiens vivaient-ils donc mieux sous la poigne de fer du dictateur? Pas sûr. Mais beaucoup, en Irak, commencent à se poser la question. En soi, c'est la preuve d'un échec.

La situation est-elle désespérée? Peter Harling, de l'International Crisis Group, croit qu'il est encore possible de remettre la démocratie irakienne sur les rails. Et d'éviter un nouveau carnage entre sunnites et chiites.

Le journaliste d'origine irakienne Samadi Ramadani est plus pessimiste. «On dit que le temps guérit tout, écrit-il dans un article touchant, paru dans le Guardian. Mais pour moi, comme pour de nombreux Irakiens, la douleur est plus vive aujourd'hui. Et cette fois, les larmes pour ce qui s'est déjà passé se mêlent à la crainte que le pire ne soit à venir.»

On ne peut que lui souhaiter de se tromper.