En ce début de printemps 2005, Cracovie vit au rythme de l'agonie de Jean-Paul II, «son» pape. Des centaines de jeunes défilent, jour et nuit, dans les rues de la ville qui a vu naître Karol Wojtyla. Pendant que celui-ci se meurt au Vatican, ses compatriotes fredonnent inlassablement sa chanson favorite et allument des lampions devant le balcon d'où il avait l'habitude de leur adresser la parole, à chacune de ses visites.

Plusieurs soulignent le courage avec lequel le pape polonais supporte et exhibe sa déchéance physique. «Il nous a montré comment vivre, maintenant il nous montre comment mourir», disent-ils avec solennité.

Huit ans plus tard, l'Église catholique fait face à une autre fin de règne, infiniment moins théâtrale que ne l'a été la mort de Jean-Paul II. Se jugeant trop amoindri pour continuer à exercer ses fonctions, Benoît XVI a décidé d'abandonner son ministère. Son geste comporte, lui aussi, une leçon de vie. Dans ses derniers jours, son prédécesseur a voulu montrer comment porter sa croix jusqu'au bout. Le pape allemand, lui, indique plutôt comment partir avant qu'il ne soit trop tard.

Une abdication papale, l'Église catholique n'avait pas vu ça depuis près de 600 ans. Ce geste fait assurément de Benoît XVI un pape «moderne», souligne Anne Leahy, ex-ambassadrice du Canada au Vatican.

De nombreux autres commentateurs ont souligné hier le caractère révolutionnaire de la démission du pape. C'est une véritable «éruption de modernité au sein de l'Église», a fait valoir le journal italien Repubblica. Le concept de retraite papale paraît en effet bien adapté à une époque où la médecine peut nous maintenir en vie bien au-delà de la date de péremption de nos facultés mentales et physiques. Ce qui était moins fréquent au XVe siècle...

Mais cette révolution de la retraite risque d'être la seule que l'histoire retiendra du bref pontificat de Benoît XVI, qui laisse en héritage un bilan en zigzags, sans grands reculs ni grandes avancées, marqué par des gaffes et des tâtonnements.

Marqué, d'abord et avant tout, par les révélations sur les scandales sexuels qui ont fait des milliers de victimes, des États-Unis jusqu'en Amérique latine, en passant par l'Australie.

Le Vatican a longtemps couvert ces viols. Et Joseph Ratzinger, comme président de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avait été aux premières loges pour protéger les prêtres pédophiles. Devant l'ampleur du scandale, il a fini par demander pardon aux victimes et par resserrer les lois du Vatican. Mais pour beaucoup des victimes, c'était trop peu, trop tard.

Autre bilan mitigé: Benoît XVI a voulu poursuivre l'ouverture de l'Église catholique par rapport aux autres grandes religions. Dans un de ses livres, il a par exemple exonéré les Juifs de toute responsabilité collective dans la mort du Christ. Bel effort, anéanti par sa décision de réintégrer l'évêque excommunié Richard Williams, négationniste de l'Holocauste. Même maladresse dans ses relations avec l'islam, alors que ses déclarations sur la violence inhérente à cette religion ont causé les réactions que l'on imagine. Et forçant le pape à recoller les pots cassés par un voyage symbolique en Turquie.

Mais surtout, sous sa gouverne, l'Église catholique n'a pas bougé d'un millimètre sur des questions morales et sociales telles que l'ordination de femmes et d'homosexuels, ou encore la contraception. Il faut défendre l'hétérosexualité comme on défend les forêts tropicales, a-t-il affirmé, entre autres déclarations marquantes.

En 2009, en route pour le Cameroun, il a déclaré à des journalistes que les préservatifs ne permettent pas de combattre le sida et qu'au contraire, ils aggravent le problème. Une affirmation aux conséquences potentiellement dramatiques pour les pays africains dévastés par le VIH. Il a, par la suite, tenté de nuancer sa position sur le condom, mais avec de telles circonvolutions que le message de fond demeure. Les fidèles doivent l'éviter, un point c'est tout. Et tant pis pour tous ceux qui mourront de l'avoir cru...

C'est sur le plan économique que Benoît XVI se sera illustré par ses propos les plus progressistes, en dénonçant le consumérisme et en appelant à un meilleur contrôle des capitaux. Mais Benoît XVI n'avait pas l'aura politique de son prédécesseur, et il a un peu prêché dans le désert.

Finalement, ce pape qui a cherché à remplir de nouveau les églises européennes désertées n'y aura insufflé un peu d'air frais que par la manière dont il a tiré sa révérence. Ah oui, il y a aussi ce compte Twitter où l'on cherchait en vain, hier, une mention de son départ imminent. «Nous devons faire confiance à la puissance de la miséricorde divine», a dit Benoît XVI dans son ultime gazouillis.

C'est bien peu pour ajuster l'Église catholique au XXIe siècle.