Il a joué Cyrano, Danton, Raspoutine et Obélix. Ces derniers jours, Gérard Depardieu interprète son propre rôle dans un film de série B qui pourrait s'intituler Prends l'oseille et tire-toi, si le titre n'avait pas déjà été pris.

Dans cet autodocumentaire, le plus célèbre des acteurs français offre ses services de propagandiste à un Vladimir Poutine qui n'en demandait pas tant, et qui lui accorde l'asile fiscal en échange. On y voit Depardieu agiter fièrement son passeport russe, manger des blinis et glisser son torse corpulent dans une tunique traditionnelle de la Mordovie, l'une des 21 républiques russes.

Ces images ne seraient que gênantes et ridicules si Gérard Depardieu s'était contenté de dégouliner d'amour pour son sauveur. Mais il a aussi voulu se mêler de politique, en décrivant la Russie comme une «très grande démocratie». Et en accusant ceux qui disent du mal du président Poutine d'être des ploucs «qui ne sont jamais sortis de chez eux». Voilà qui exige quelques rectificatifs.

Ses nouveaux compatriotes ont beau bénéficier d'un taux d'imposition unique de 13%, ils sont loin de vivre au paradis de la démocratie. En alternant les rôles de président et de premier ministre, Vladimir Poutine s'est autorisé à régner sur son pays pendant deux décennies. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2000, il s'est employé à neutraliser ses opposants, en adoptant des lois qui ont peu à peu déconstruit un système démocratique balbutiant. Depuis 1993, quelque 300 journalistes russes ont été assassinés. La vaste majorité de ces crimes n'a jamais été résolue.

Et ça ne va pas en s'améliorant. L'été dernier, trois jeunes femmes ont été condamnées à deux ans de prison pour avoir interprété une chanson anti-Poutine dans une église. L'une d'entre elles, Nadia Tolokonnikova, purge d'ailleurs sa peine dans un des camps de travail qui font la renommée de la Mordovie. Eh oui, cette république qui offre à Gérard Depardieu le poste de ministre de la Culture et une belle maison au milieu de la forêt.

L'idée même d'accueillir Depardieu en Mordovie tient de la mauvaise blague: cette république de moins d'un million d'habitants est «sinistre», selon le correspondant moscovite de la BBC. On y compte une vingtaine de camps de travail hérités de l'époque soviétique - ils constituent d'ailleurs la principale source d'emplois dans la région.

En Russie même, les déclarations de Depardieu ont soulevé une vague de sarcasme. «Cher monsieur Depardieu, venez en Russie. Vos impôts y seront consacrés à de bonnes oeuvres telles que des augmentations salariales pour les agents de sécurité, les procureurs, les juges et les gorilles qui passent à tabac les garçons, les filles et les vieilles dames constituant une menace pour notre sécurité», ironise l'écrivain Lev Rubinstein.

D'autres reprochent au comédien d'être retombé en enfance. Tandis que l'écrivain Édouard Limonov l'invite à se joindre aux manifestations de la place Trioumfalnaïa, où des opposants défendent chaque mois leur droit de se rassembler.

Gérard Depardieu est-il un imbécile ou un ignorant? se demandent les opposants russes. Dans les deux cas de figure, ses déclarations sont une insulte à tous les Russes qui se battent courageusement pour des droits et libertés de plus en plus menacés.

En France, le débat sur «l'affaire Depardieu» oppose ceux qui reprochent au richissime comédien son égoïsme et son manque de patriotisme et ceux qui dénoncent la trop grande gourmandise du fisc, particulièrement à l'égard des contribuables les plus fortunés, menacés d'un nouvel impôt de 75%.

La France a-t-elle vraiment tiré l'élastique fiscal au point de forcer les plus riches à l'exil? «Le poids des impôts n'est pas excessif en soi», répond l'économiste Thomas Piketty, que j'ai joint hier à Paris. Selon lui, le problème de la fiscalité française est qualitatif, avant d'être quantitatif: «Ce qui la caractérise, c'est l'empilement d'exemptions et les nombreuses couches de complexité.»

Dans un livre qu'il cosigne avec deux collègues, cet économiste prône une «révolution fiscale» qui ferait le ménage dans ce système tarabiscoté et inéquitable. Et qui, tout compte fait, impose davantage les 50% des contribuables les plus pauvres que les 1% les plus riches...

La France reste un des pays les plus imposés de la planète. Et le futur impôt de 75% serait excessif, selon cet économiste pourtant proche des socialistes. Mais la réalité fiscale française est plus complexe que ce que laisse entendre la fuite fiscale et les facéties russes de Gérard Depardieu.

PHOTO AP

Gérard Depardieu (à gauche) a chaleureusement été accueilli par Vladimir Poutine, lors de son passage à la résidence du président russe, à Sotchi, samedi.