Il y a une dizaine d'années, je visitais Efrat, implantation juive voisine de Bethléem, en compagnie d'un homme qui ne tarissait pas d'éloges pour le maire de sa ville. Il m'expliquait comment le génial magistrat laissait de nouveaux colons planter leurs caravanes sur des collines inoccupées, en toute illégalité. Puis, il attendait.

Il suffisait d'un nouvel attentat suicide à Jérusalem pour que le gouvernement israélien débloque des permis de construction dans ce qui allait rapidement devenir un nouveau quartier d'Efrat.

Ce que mon guide m'a décrit, c'est une sorte de danse macabre où les attaques palestiniennes justifiaient l'expansion territoriale juive - un scénario qui m'avait paru d'un cynisme absolu.

La scène m'est revenue en mémoire au cours du week-end, quand le gouvernement israélien a annoncé l'attribution de 3000 nouveaux permis de construction en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que son intention d'aller de l'avant avec un projet d'aménagement qu'il gardait dans ses cartons depuis une vingtaine d'années. Un projet ultracontroversé, connu sous le code E1, qui risque de rendre tout projet d'État palestinien carrément irréalisable.

Le gouvernement Nétanyahou n'a même pas tenté de cacher qu'il se livrait ainsi à un acte de représailles, suivant la reconnaissance de la Palestine comme État observateur à l'ONU. «Nétanyahou tourne son isolement international à son avantage, il s'arroge les droits du belligérant», résume joliment Daniel Seidemann, un pacifiste israélien qui documente depuis longtemps la guerre démographique qui se joue à Jérusalem-Est, partie arabe de la ville sainte.

Avec son annonce du week-end dernier, le leader de la droite israélienne a frappé fort: le projet E1 relierait l'implantation juive de Maale Adoumim à Jérusalem, ce qui formerait une agglomération urbaine qui trancherait la Cisjordanie en deux, en coupant le Nord du Sud, et en créant une barrière entre les territoires palestiniens et Jérusalem. La Palestine ne serait plus qu'un patchwork de pièces disparates, potentiellement reliées entre elles par des routes séparées ou des tunnels.

Ce plan a été conçu au début des années 90. Quand le gouvernement d'Ariel Sharon a tenté de passer à l'action, en 2004, George W. Bush l'a sommé de mettre le projet au frais. Bill Clinton, avant lui, et Barack Obama, après, ont tous dit non à ce projet qui signerait l'arrêt de mort du processus de paix israélo-palestinien.

En décidant de sortir le projet de ses cartons, Benyamin Nétanyahou inflige donc une gifle magistrale à Washington. Et lève un bras d'honneur à la planète entière - à l'exception du Canada, son ultime et meilleur ami. (Le Canada est «plus colon que les colons», constate un dossier récent d'Al-Jazira, dans un titre qui a une connotation particulièrement savoureuse au Québec...)

Les excavatrices ne sont pas encore arrivées sur les collines de E1, mais ça pourrait se produire d'ici six à neuf mois, selon Daniel Seidemann. Nous voici donc devant un autre épisode sombre d'un conflit qui n'en finit plus de pourrir.

Et pourtant, quand on y pense, la revanche de Nétanyahou ne constitue peut-être pas une si mauvaise nouvelle.

Car cette fois, la droite israélienne montre ses véritables intentions. Elle dessine sur la terre aride de la Cisjordanie les contours du territoire qu'elle serait prête à céder à un éventuel État palestinien. Et cet État n'est tout simplement pas viable.

La réponse ne s'est pas fait attendre. Le geste de défi d'Israël a causé une véritable bombe diplomatique, dixit la BBC. Plusieurs pays ont convoqué leur ambassadeur israélien pour plus d'explications. La droite israélienne est-elle allée trop loin? Devant autant de chutzpah (culot, en yiddish), le monde serait-il enfin prêt à monter le ton devant l'accélération de la colonisation de la Cisjordanie?

Ce n'est pas sûr. Et ça ne viendra sûrement pas d'Ottawa. Mais en mettant sur la table un projet urbain explosif, le gouvernement Nétanyahou a peut-être lancé un boomerang qui finira par se tourner contre lui. Et par le forcer à cesser d'agir contre la paix qu'il prétend poursuivre.