Poursuivant sur sa lancée anti-ONU, le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, s'en est pris au rapporteur spécial des Nations unies pour les droits des Palestiniens, Richard Falk, allant jusqu'à réclamer que celui-ci soit relevé de ses fonctions.

Le péché de Richard Falk? Dans un rapport remis la semaine dernière, il a appelé au boycottage des entreprises israéliennes et internationales qui font affaire avec les colonies juives dans les territoires palestiniens. Selon lui, ces entreprises violent les lois internationales en contribuant à l'établissement d'implantations illégales. Les colonies israéliennes ont le vent dans les voiles et leur construction s'accélère. À défaut d'autres arguments, un boycottage ferait pression sur l'État hébreu pour qu'il freine cette expansion, croit le rapporteur. Une affirmation que le ministre Baird a dénoncée comme «offensante et nocive.»

Richard Falk est un personnage controversé. Il a déjà comparé les Israéliens aux nazis et accusé l'État hébreu de nettoyage ethnique. On peut lui reprocher ses excès de langage et estimer qu'ils outrepassent largement ses fonctions. Mais son appel au boycottage mérite qu'on s'y attarde.

D'abord, une précision: celui-ci viserait non pas Israël, mais les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est - la partie arabe de la ville sainte. Il n'est pas question de manifester contre des chaussures fabriquées en Israël! Cette distinction est importante. Contrairement au mouvement lancé par la société civile palestinienne en faveur de sanctions contre l'État hébreu lui-même, Richard Falk cible uniquement les colonies.

Et il a l'avantage de ne pas crier dans le désert. En Israël même, des poids lourds de la gauche, tels que les écrivains David Grossman et Amos Oz, appellent à des sanctions économiques de formes diverses contre les colons.

Et au printemps dernier, Peter Beinart, Juif américain profondément sioniste, a jeté un gros caillou dans la mare en proposant, à son tour, de boycotter tout produit fabriqué dans les colonies.

C'est même une des principales suggestions de son livre «La crise du sionisme», qui a causé une méga controverse, au printemps dernier. Peter Beinart s'est alors fait traiter de tous les noms. On lui a reproché d'être manichéen et simpliste, de détester Israël et de faire le jeu des antisémites.

Six mois plus tard, Peter Beinart persiste et signe. «Je savais que cet appel au boycottage créerait une controverse autour de mon livre. Mais en même temps, je me sentais tenu de faire une proposition concrète», m'a-t-il expliqué lors de son passage à Montréal, la semaine dernière.

Une proposition pour quoi faire? En gros, pour sauver un État juif qui court à sa perte en continuant sa politique d'expansion. À sa perte morale d'abord, mais aussi, potentiellement, à sa perte physique.

«L'occupation d'un autre peuple se nourrit de racisme», écrit-il dans son livre. Un racisme étayé par des sondages montrant que l'opinion publique israélienne est de plus en plus hostile aux Palestiniens. «Presque chaque mois, on voit de nouveaux signes de l'érosion de la démocratie israélienne», déplore Peter Beinart.

Il rappelle qu'en 1980, à peine 12 000 colons juifs vivaient en Cisjordanie. Ils sont 300 000 aujourd'hui. Tandis que la population juive de Cisjordanie croît trois fois plus vite que celle à l'intérieur de l'État hébreu. Et que la ligne de démarcation entre territoires israélien et palestinien devient de plus en plus floue.

Au point que de moins en moins de gens, tant chez les Juifs israéliens que chez les Palestiniens, croient encore à la solution des deux États. L'idée d'un seul État laïque et binational est particulièrement populaire chez les Palestiniens. Mais aux yeux de Peter Beinart, cela relève de l'utopie. «L'État binational, c'est la voie ouverte à la guerre civile», avertit ce journaliste et essayiste de 41 ans.

Plus les colonies se multiplient, plus la démocratie israélienne sera écorchée, et plus l'avènement d'une Palestine indépendante aux côtés d'Israël deviendra impossible, croit Peter Beinart. Selon lui, une campagne de boycottage ciblant les colonies, qu'il juge responsables du déclin moral d'État juif, est le seul moyen de faire pression contre l'occupation. Et de préserver un État à la fois juif et démocratique.

Il est possible qu'il se trompe. Possible, aussi, qu'il soit déjà trop tard pour la solution des deux États. Mais en attendant, la polémique soulevée par Peter Beinart montre qu'on peut vouloir imposer des sanctions aux colonies - par amour d'Israël. N'en déplaise au ministre Baird.