S'il était possible d'écrire un conte de fées sur la peine de mort, son héroïne s'appellerait Marina Nemat. Arrêtée pour avoir participé à quelques manifestations contre l'ayatollah Khomeiny, elle n'avait que 16 ans quand elle a échoué dans la sinistre prison d'Evin, à Téhéran, où elle a été torturée et condamnée à mort.

L'écolière a échappé de peu à son exécution grâce à l'amour que lui portait un de ses geôliers. Il y avait toutefois un prix à payer pour sa survie: élevée dans une famille catholique, l'adolescente a dû se convertir à l'islam et épouser son sauveur.

Marina Nemat purgeait encore sa peine, commuée en emprisonnement à perpétuité, quand son mari a été mystérieusement assassiné. Libérée grâce aux pressions exercées par sa belle-famille, la jeune femme finira par rejoindre André, son amour de jeunesse, qu'elle épousera avant de fuir au Canada.

Ce résumé succinct ne rend pas justice à Prisonnière à Téhéran, le livre dans lequel Marina Nemat raconte son histoire hors du commun. Elle y dépeint par petites touches délicates son enfance marquée par l'héritage de ses grands-parents russes, ses révoltes de petite fille, ses amitiés, son adolescence dans un Iran postrévolutionnaire sur lequel se refermait progressivement la chape de plomb de la théocratie. Puis, ce jour de janvier 1982 où des policiers sont venus frapper à sa porte et où sa vie a basculé dans l'horreur.

«La torture vous réduit à quelque chose que vous ne pouvez pas imaginer, on croit savoir ce qu'est la douleur, mais on ne le sait pas», raconte Marina Nemat, qui tenait une série de conférences au Québec, la semaine dernière, à l'invitation d'Amnistie Internationale, dans le cadre d'une campagne internationale contre la peine de mort.

Avec la souffrance physique, «on n'est plus un être humain». Une fois que la plante de ses pieds n'était plus qu'une plaie sanguinolente, l'adolescente a signé tout ce qu'on lui demandait de signer...

Libérée en 1984, après avoir passé deux ans entre les murs d'Evin où ont péri plusieurs de ses amies, Marina Nemat a mis du temps à comprendre qu'elle restait prisonnière de ses cauchemars et accès de panique, le legs de son séjour à Evin. Et qu'il n'y avait qu'une façon de se libérer de ces barreaux intérieurs: raconter son histoire.

Si elle en ressentait le besoin, c'est entre autres parce que 18 ans après sa libération, rien n'a vraiment changé à Téhéran. Des prisonniers croupissent toujours dans des cellules avec des condamnations bidon, d'autres avouent des crimes qu'ils n'ont pas commis, sous la torture. La plupart des ex-détenus ont peur de raconter publiquement ce qu'ils ont vécu, de crainte de mettre leurs proches en danger.

Et parmi ceux qui attendent aujourd'hui leur exécution, il y a le Canado-Iranien Hamid Ghassemi-Shall. Et un Iranien ayant obtenu son droit de résidence au Canada, Saïd Malekpour. Le premier a été arrêté au printemps 2008 et condamné à mort pour espionnage, avec son frère qui est, depuis, mort en prison. Le second, un informaticien, se trouvait au chevet de son père mourant quand il a été arrêté, jugé et condamné à la peine capitale pour avoir «géré un site Web pornographique» et avoir ainsi insulté l'islam.

Marina Nemat, qui enseigne l'écriture littéraire à l'Université de Toronto, est consciente d'avoir eu la vie sauve par un coup de chance inouï. Victimes de la même justice bancale, ses deux compatriotes, eux, ne peuvent pas compter sur des miracles. Ils ont besoin de tous les appuis internationaux possibles pour échapper à la mort.

Le Canada a-t-il tout fait pour intercéder en leur faveur auprès du gouvernement iranien? Pas sûr. Mais ce qui est clair, c'est qu'en fermant son ambassade à Téhéran, le Canada s'est privé du peu de pouvoir d'influence qu'il pouvait exercer pour défendre ses citoyens coincés dans les dédales de la justice à l'iranienne.

L'ancienne prisonnière de Téhéran ne voit pas ce que cette rupture de liens diplomatiques peut apporter de bon. «Quelqu'un peut-il me dire ce que ça donne? On dit que le gouvernement iranien est un État terroriste, mais c'était aussi le cas il y a 30 ans. Pourquoi couper les liens maintenant?»

«Nous n'avions déjà pas un gros rapport de force face à Téhéran, mais aujourd'hui, ce très peu a disparu.»

N'oubliez pas: celle qui parle ne peut pas être soupçonnée de soutenir un régime qui a déjà voulu l'assassiner. Et pourtant, elle croit qu'un dialogue minimal vaut mieux que pas de dialogue du tout.