C'est l'histoire d'une jeune fille qui aime la crème glacée, les robes colorées et les téléséries à l'eau de rose. C'est aussi l'histoire d'une jeune fille qui voulait aller à l'école. Et qui a affirmé ce désir haut et fort, au péril de sa vie.

Malala Yousufzai n'avait que 11 ans quand les talibans, qui régnaient par la terreur sur la vallée de la Swat, dans le nord-ouest du Pakistan, ont décrété que les filles n'avaient plus le droit d'aller à l'école.

Cherchant à documenter cet épisode sombre de l'histoire du Pakistan, la BBC a alors pris contact avec le père de Malala, Ziauddin Yousufzai, enseignant et farouche défenseur du droit à l'instruction. Connaissait-il quelqu'un prêt à raconter la vie d'une école frappée par cet interdit?

Ses collègues craignaient de s'exposer. Mais pas sa fille, qui a commencé à tenir un blogue, en ourdou, sous un pseudonyme.

«J'ai fait un rêve terrible hier, avec des hélicoptères de l'armée et des talibans», écrit la fillette dans un des premiers extraits de son journal. Au fil des semaines, elle y raconte ses espoirs, ses déceptions, ses peurs et ses jours d'ennui.

La famille doit fuir la capitale de la vallée, Mingora, quand la guerre entre l'armée pakistanaise et les talibans y fait rage. Elle reviendra après la défaite des talibans, refoulés vers les zones tribales frontalières de l'Afghanistan.

Malala n'a cessé, depuis, de défendre le droit des filles à l'éducation. Ouvertement, cette fois. Ce qui lui a valu de recevoir le prix de la Paix du Pakistan et d'être mise en nomination pour un prix international de la Paix décerné à un enfant.

«Cette fille a un courage inégalé», dit avec admiration Murtaza Haider, un professeur de l'Université Ryerson, à Toronto, qui tient une chronique dans le journal pakistanais Dawn.

Ce Pakistanais d'origine se souvient d'avoir vu Malala Yousufzai à la télévision, avant même qu'elle ne commence à tenir son blogue pour la BBC. Elle s'était présentée à une assemblée publique du conseil de Mingora. Elle n'avait qu'une question à poser aux dirigeants locaux: «Est-ce que je peux aller à l'école?»

Murtaza Haider avait été renversé par sa témérité: «À cette époque, on ne pouvait pas traverser la principale place de la ville sans voir les talibans pendre des corps décapités.»

Le journaliste Adam B. Ellick, du New York Times, a suivi la famille Yousufzai pendant six mois, en 2009, pour un documentaire sur la vallée de la Swat. «Malala est dotée d'une force tranquille, elle ne se laisse décourager ni par l'anxiété ni par le danger. Elle est d'une maturité qui dépasse son âge», écrit-il dans un témoignage publié mardi.

Cette maturité est frappante dans les entrevues que Malala a données au fil des ans, après la réception de son prix, par exemple. «Même s'ils viennent pour me tuer, je leur dirai que ce qu'ils essaient de faire est mal, que l'éducation est un droit fondamental», a-t-elle affirmé avec son sourire déterminé.

«Ils» sont effectivement venus, mardi, pour abattre Malala Yousufzai à la sortie de l'école. «Ils», c'est-à-dire des talibans, qui continuent à menacer le Pakistan de leur refuge aux confins du pays. Dans le communiqué où ils revendiquent la tentative d'assassinat, ils accusent la fillette, aujourd'hui âgée de 14 ans, d'être une infidèle et un «symbole d'obscénité», incarnant les valeurs occidentales. Si elle survit, elle sera visée de nouveau, avertissent les tueurs.

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L'histoire de Malala a généré une vague de sympathie et d'indignation dans tout le pays. «Des gens pleurent à la télévision, je n'ai rien vu de tel depuis l'assassinat de Benazir Bhutto», dit Murtaza Haider, en faisant allusion à l'ex-première ministre abattue en décembre 2007.

Murtaza Haider espère que l'attaque contre la courageuse écolière constituera un tournant pour son pays d'origine. Un pays qui sombre dans la violence, devant un État impuissant.

Car Malala Yousufzai n'est pas la seule victime de la furie des barbus. Jeudi dernier, par exemple, le chanteur Qamar Allah Ditta a été assassiné dans son auto. De tels meurtres se multiplient et, dans la vaste majorité des cas, les coupables ne sont pas condamnés.

En 2009, des images d'une jeune femme fouettée publiquement par les talibans avaient soulevé une vague de révolte et précipité une action militaire dans la vallée de la Swat. Plusieurs Pakistanais, dont Murtaza Haider, espèrent que le sort de Malala Yousufzai poussera l'armée à pourchasser les talibans là où ils se terrent aujourd'hui. De façon à ce que Malala et toutes les autres petites filles du Pakistan puissent dorénavant aller à l'école et réaliser leurs rêves sans craindre de se faire tirer dessus par un fou de Dieu.