Aux yeux du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, Omar Khadr est un «partisan notoire du réseau Al-Qaïda condamné pour terrorisme». C'est dans ces mots, en tout cas, qu'il a décrit l'ex-prisonnier de Guantánamo lorsqu'il a annoncé son retour au Canada, il y a dix jours.

Mais pour Arlette Zinck, spécialiste en littérature anglaise du XVIIe siècle, Omar Khadr est plutôt un étudiant studieux, concentré, drôle et fin psychologue. Un élève de rêve pour tout enseignant.

Professeure au King's University College, à Edmonton, Arlette Zinck a supervisé pendant 22 mois un programme éducatif conçu exprès pour Omar Khadr. L'idée avait germé à la suite d'une conférence que son ancien avocat, Dennis Edney, avait prononcée dans cette université chrétienne, il y a quatre ans.

Touchés par son histoire, les étudiants ont voulu faire quelque chose pour leur jeune compatriote enfermé à la base militaire américaine. Ils lui ont écrit. De fil en aiguille, les avocats ont suggéré de pousser l'expérience plus loin et de permettre à Omar Khadr de reprendre le fil de ses études. Afin de prendre le pouls de son futur étudiant, Arlette Zinck lui a demandé de résumer un livre. Pour ce premier test, elle a choisi une oeuvre de circonstance: Le chemin parcouru, dont l'auteur, Ishmael Beah, est un ancien enfant soldat.

Omar Khadr en a tiré un travail «méthodique, précis», où il aborde «l'importance de protéger les enfants», se souvient Arlette Zinck. Le résultat l'a convaincue que, malgré sa scolarité en dents de scie entre le Canada, le Pakistan et l'Afghanistan, Omar Khadr avait tout ce qu'il fallait pour entreprendre des études. Objectif: l'amener au niveau d'un diplôme d'études secondaires. Surtout en maths et en anglais.

Pas évident d'enseigner à un détenu confiné à sa cellule dans une prison à sécurité maximale. Arlette Zinck et ses collègues ont eu l'idée de lui faire traverser le Canada, d'ouest en est, à travers des oeuvres littéraires. Et de se servir de ces oeuvres comme point de départ d'exercices dans d'autres disciplines. Ses avocats, qui servaient d'intermédiaires, lui apportaient ses nouvelles leçons et ramassaient ses devoirs. Un processus laborieux compte tenu des mesures de sécurité carcérale.

Au moment de quitter sa geôle de Guantánamo, Omar Khadr venait de passer à travers le roman Crow Lake, de l'auteure Mary Lawson, dont l'intrigue se déroule dans le Nord de l'Ontario. Et il n'était plus qu'à trois livres du Québec, qu'il abordera à travers Gabrielle Roy et son Bonheur d'occasion.

Après une année de cours par correspondance, Arlette Zinck a pu rencontrer son élève en chair et en os, au printemps dernier. Cette «école d'été» lui aura permis de passer 25 heures avec le plus jeune prisonnier de Guantánamo. Une expérience intense qui lui a permis de mieux comprendre cet élève hors du commun.

«La réflexion sur des oeuvres littéraires donne une idée de l'âme du lecteur, de voir comment il pense et ce qu'il ressent», dit Mme Zinck. Et ce qui l'a le plus frappée dans «l'âme» de son étudiant-prisonnier, c'est sa capacité «d'avoir une lecture empreinte de charité, de déceler l'espoir derrière chaque histoire et d'éprouver de la compassion pour les protagonistes».

Arlette Zinck décrit son élève comme un homme poli, à l'écoute des autres, qui réfléchit avant de parler. Et avec qui elle a aussi partagé de nombreux fous rires. «Il n'a peut-être pas eu une vie ordinaire, mais il est très engagé dans ce qu'il fait, et il a construit des relations saines avec ses codétenus, mais aussi avec ses gardiens.»

Ses observations rejoignent les commentaires d'autres personnes qui ont eu l'occasion de fréquenter le jeune Khadr. Moazzam Begg, qui a partagé sa cellule à la prison américaine de Bagram, peu après leur arrestation, en 2002, se souvient d'un garçon tranquille, timide, qui se plaignait rarement même s'il avait l'impression que tous l'avaient abandonné.

Moazzam Begg a été libéré en 2005, sans procès. Il dirige aujourd'hui, à Londres, une organisation qui soutient les prisonniers de Guantánamo, CagePrisoners.

Il se rappelle que, à l'époque de Bagram, il avait convaincu les autorités carcérales d'autoriser des séances quotidiennes d'exercice de 30 minutes. C'est lui qui dirigeait ces cours de gymnastique. Et de tous ses «élèves», Omar Khadr était de loin le plus assidu. Il voulait stimuler l'enthousiasme des autres détenus. «C'est un garçon qui aime aider.»

«Omar est curieux, il adore la littérature et rêve de travailler dans le domaine médical, dit son avocat John Norris. Il ne manifeste aucune colère ou amertume à l'égard de ce qu'il a vécu.»

Cette absence d'amertume a aussi frappé Arlette Zinck, surtout après son analyse d'un roman canadien qui raconte l'internement de Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans son devoir, Omar Khadr constate que l'une des trois protagonistes d'Obasan réagit à sa détention en se murant dans le silence. La deuxième rumine sa détresse. Et la troisième «est capable de se rappeler cette expérience, mais parvient à pardonner et à tourner la page».

«Nous avons été frappés par cette observation parce que, manifestement, c'est l'attitude qu'Omar Khadr a adoptée dans sa propre vie...»

Ma chronique de lundi dernier, dans laquelle je suggérais qu'Omar Khadr méritait réparation après avoir été abandonné par son propre gouvernement et laissé aux soins d'une justice militaire aveugle à son jeune âge, m'a valu un abondant courrier. Plusieurs lecteurs horrifiés m'ont reproché de traiter à la légère ce «terroriste» reconnu coupable d'avoir tué le soldat américain Christopher Speer.

À supposer qu'ils continuent à me lire, j'invite ces lecteurs à voir un autre visage d'Omar Khadr. Celui qu'ont aperçu des gens qui l'ont fréquenté pendant ses années d'incarcération.