Deux jours avant l'attentat contre Pauline Marois, un autre pays, à des milliers de kilomètres du Métropolis, était secoué par un meurtre d'un tout autre genre. Mais tout aussi dérangeant.

Je vous parle de la Tanzanie, un des pays les plus paisibles du continent africain, mieux connu en tant que destination touristique que comme nid à conflits, comme il y en a tant d'autres dans son voisinage.

La victime, ici, est un journaliste, Daudi Mwangosi, reporter à la station privée Channel 10. Il a été carrément éventré devant des dizaines de personnes, dont des collègues et des militants d'un parti d'opposition.

La police tanzanienne n'est pas réputée pour sa délicatesse. Mais ce qui s'est passé le dimanche 2 septembre, dans la région d'Iringa, au centre de la Tanzanie, est sans précédent.

Dès qu'il a eu vent de l'événement, Kenneth Simbaya, président de l'Union des clubs de presse tanzaniens, a quitté Dar es Salam pour rouler vers Iringa, 700 kilomètres plus à l'ouest.

Les témoignages qu'il y a recueillis lui ont permis de reconstituer le fil des événements, dont il m'a fait le récit samedi dernier dans un hôtel de Dar es Salam.

Tout s'est déroulé dans un village où le parti d'opposition Chadema avait voulu organiser un rassemblement politique. Une initiative interdite, en raison du prolongement de la période de recensement, lui ont rappelé les forces de l'ordre.

Le recensement est une chose sérieuse en Tanzanie: même les étrangers qui séjournent à l'hôtel doivent y répondre, et ce, en plein milieu de la nuit - ainsi que nous avons eu la surprise de le découvrir lors de notre récent séjour -, l'idée étant que chacun doit rester chez soi en attendant la visite du recenseur.

Les militants de Chadema ont décidé de se réunir quand même, dans un cadre plus privé. Pas question, a dit la police. Au cours de l'échauffourée qui a suivi, un journaliste s'est retrouvé pris en souricière par les policiers. Et son collègue Daudi Mwangosi a volé à son secours.

Les témoins ont alors vu des policiers se jeter sur lui pour le frapper sauvagement à coups de bâton. Puis, ils ont entendu un bruit d'explosion. Selon plusieurs témoins, c'est une canette de gaz lacrymogène qui a atteint le journaliste-vedette de Channel 10 directement au ventre. Il s'est effondré, et ce qu'il restait de lui n'était pas beau à voir.

Depuis, la communauté journalistique de la Tanzanie est en émoi. «Nous avons plus de questions que de réponses, dit Kenneth Sambaya. Que s'est-il passé exactement? Qui a tué Mwangosi? Pour quelles raisons? Et pourquoi précisément lui?» Sous-entendu: et si ce n'était pas un accident, mais une exécution?

Kenneth Sambaya connaissait bien le reporter-vedette de Channel 10. «Il était très critique et ne se laissait intimider par personne. Il posait des questions dérangeantes, jusqu'au bout.»

Le gouvernement tanzanien a tendance à reprocher aux journalistes de pencher du côté de l'opposition, parce qu'ils relaient ses critiques contre le pouvoir en place.

Pourtant, jure Kenneth Sambaya, ils ne font que leur devoir. Et selon lui, c'est ce que faisait également, avec beaucoup de courage, Daudi Mwangosi.

Le ministère de l'Intérieur tanzanien a formé un comité pour enquêter sur la mort du reporter. Une démarche tournée en dérision par la communauté journalistique: comment des policiers peuvent-ils enquêter sur des policiers? L'épreuve de force se poursuit entre le pouvoir et les représentants des médias sur les suites à donner à cette mort tragique.

En attendant, dans ce pays où 80% des journalistes sont des pigistes au statut ultra-fragile, l'assassinat de Daudi Mwangosi crée un climat de terreur. «Maintenant, les gens ont peur», dit Kenneth Simbaya. Peur de quoi? Simplement de faire leur travail.

Cette affaire a plongé la Tanzanie et ses journalistes dans un état de choc. Quoi, un tel événement a pu se produire chez nous? se demandent-ils. Une consternation qui fait écho à la stupeur qui a gagné le Québec le soir du 4 septembre dernier. Et qui exprime une certaine innocence perdue. Comme si nous avions toujours tort de nous penser à l'abri du pire...