Enfermées dans leur sinistre cage de verre, Maria, Ekaterina et Nadejda échangeaient des sourires complices pendant que la juge Marina Styrova énumérait la liste de leurs méfaits: incitation à la haine religieuse, vandalisme, perturbation dangereuse de l'ordre public.

Les trois jeunes femmes n'avaient fait qu'exécuter une «prière punk» dans une cathédrale de Moscou. Durée de l'événement: à peine une trentaine de secondes. Qu'elles paieront par deux ans de détention.

Mais les trois punkettes qui avaient prié la Vierge Marie de débarrasser la Russie de son président, Vladimir Poutine, n'affichaient pas du tout l'air contrit d'un accusé qui vient de perdre son procès. Par moments, elles donnaient plutôt l'impression d'avoir remporté une victoire.

Et avec raison. Car dans ce duel inégal entre de jeunes femmes rebelles et le régime, la victoire n'est pas là où l'on pense. Après tout, en faisant traduire les trois punkettes devant la justice, Moscou a voulu les réduire au silence et freiner le mouvement d'opposition au président Poutine.

Le résultat est aux antipodes. Leur procès a donné aux jeunes femmes une notoriété inespérée. Il les a transformées en stars internationales, incarnant la lutte contre la dérive autoritaire de la Russie. Il a irrité l'opinion publique russe et renforcé les rangs des opposants. En quelques semaines, l'appui à une peine de prison est passé de 46% à 26%, constate l'institut de sondages russe Levada.

Mieux que ça: leurs critiques ont été entendues sur la planète entière. Et les cagoules colorées qu'elles avaient revêtues le temps de leur performance sont en voie de devenir le symbole universel de la lutte contre l'oppression.

Plusieurs avaient vu dans ce procès un test de la liberté d'expression dans la Russie de Vladimir Poutine. Eh bien, ce dernier a lamentablement raté l'examen. Et n'a fait qu'attirer l'attention internationale sur les côtés sombres de sa présidence.

Car ce verdict ne tombe pas dans le vide. Il survient alors que Vladimir Poutine célèbre les 100 jours de son troisième mandat. Petit rappel: celui que l'on décrit comme le nouveau tsar de Moscou a présidé son pays de 2000 à 2008. Pour respecter la Constitution qui lui interdisait d'exercer trois mandats consécutifs, il s'était effacé pendant quatre années, durant lesquelles il a exercé les fonctions de premier ministre. Pour être réélu à la présidence en mars.

C'est d'ailleurs l'annonce de son retour qui a incité Ekaterina, Nadejda et Maria à fonder leur groupe punk-rock Pussy Riot et à multiplier les flashmobs dans le métro ou sur les toits des autobus. Toutes leurs actions avaient une portée politique. Et quand elles se sont pointées à la cathédrale du Christ-Sauveur, un jour de février, c'était pour reprocher au patriarche de l'Église orthodoxe d'avoir demandé aux fidèles de voter pour Poutine.

Elles n'étaient pas les seules à trouver que Vladimir Poutine en menait trop large. «Nous sommes représentatives de notre génération», a dit l'une des accusées à l'ouverture du procès. En effet. Les manifestations anti-Poutine se sont multipliées en 2012. Et elles étaient de plus en plus fréquentées.

Pour bloquer la vague, Moscou a imposé des amendes salées, jusqu'à 9000$, aux manifestants illégaux. Les ONG internationales dont les actions ont une répercussion politique sont désormais enregistrées comme des «agents étrangers». Une nouvelle loi permet à l'État de placer sur une liste noire certains sites web, supposément dangereux pour les enfants. Et tout récemment, un tribunal vient d'interdire les défilés gais pour une période de 100 ans!

Tout ça pour dire que petit à petit, Poutine rétrécit le champ des libertés en Russie, par des gestes qui passent généralement inaperçus. En ouvrant la porte à un procès hautement médiatique, contre de jeunes femmes sympathiques, intelligentes et courageuses, il s'est carrément tiré dans le pied.

Maria, Nadejda et Ekaterina avaient de bonnes raisons de sourire dans leur cage de verre...